Association pour
une instance tierce des psychanalystes
PROJET POUR UNE CHARTE DES
PSYCHANALYSTES
"Cette association a pour but de
mettre en uvre les moyens propres à élaborer
les structures d'une instance tierce qui aurait à concevoir
et à gérer les interfaces entre, d'une part les
psychanalystes ainsi que leurs associations, et d'autre part
la société civile aussi bien que les pouvoirs publics"
( Art. 2 des statuts).
Siège social :
36, rue Pierre Sémard 75009 PARIS
TÉL. 01 53 32 84 10 - FAX 01 53 32 84 11
Secrétariat :
52, rue Dupleix 44100 NANTES
TÉL. 02 40 69 84 85 - FAX 02 51 19 86 84
PRÉSENTATION
La spécificité de la psychanalyse
se trouve aujourd'hui en danger de se dissoudre dans des pratiques
et des finalités d'un autre ordre.
Une logique administrative est à
l'uvre, cohérente avec le mouvement général
de rationalisation de la société. Elle tend à
exclure le risque, requiert des experts et ne reconnaît
que des clercs.
La psychanalyse, qui est affaire de parole,
de sujet et de désir, se situe dans une toute autre logique.
Elle est irréductible à tout savoir institué.
C'est pour soutenir l'originalité de cette discipline
que Serge LECLAIRE, en décembre 1989, a pris l'initiative
d'un appel à tous les psychanalystes exerçant en
France. Il leur proposait d'uvrer à l'instauration
d'une Instance, dont le modèle serait à inventer,
destinée à sauvegarder et maintenir la spécificité
de leur discipline.
Ainsi fut créée l'A.P.U.I.
(Association pour une instance), " aux fins d'animer un
mouvement de tous ceux qui se sentent concernés par l'intérêt
pour la psychanalyse et qui se soucient de rendre possible le
déploiement du génie de leur discipline au-delà
de la fin du siècle " (Serge LECLAIRE, Liminaire
à l'État des lieux de la psychanalyse, Paris, Éd.
Albin Michel, 1991).
La réalisation, par notre association,
d'un État des lieux de la psychanalyse a permis de rendre
sensibles aussi bien la force du mouvement psychanalytique que
la nécessité d'un questionnement permanent des
limites de la psychanalyse. Elle a montré que les questions
concernant la transmission, la formation et les conditions de
la pratique ne sauraient être "réglées"
une fois pour toutes ; que nous devons, en conséquence,
nous tenir sur la brèche, prendre en compte les mutations
sociales et ne jamais négliger les bords. Sans la confrontation
permanente à autre chose qu'à elle-même,
la psychanalyse ne peut que se détourner de sa visée
propre et perdre sa force d'invention.
Questionner la psychanalyse dans ses
limites, pour en préserver la laïcité et soutenir
ainsi la radicalité de l'expérience freudienne,
cela implique de se référer sans cesse à
l'ensemble des principes fondamentaux que la méthode inaugurée
par Freud a permis d'élaborer. En rédigeant le
Projet pour une charte des psychanalystes, nous avons voulu,
précisément, réaffirmer le " noyau
commun sur lequel il convient de ne pas céder ".
Ce texte, qui fut en 1993 le fruit d'une perlaboration collective,
a été contresigné alors par une centaine
de psychanalystes de tous bords. Il a été porté
à la connaissance de toutes les associations psychanalytiques
existant à l'époque.
Comme document de référence,
il pourrait servir de support à la constitution d'un large
ensemble de personnes qui, quelle que soit leur appartenance
institutionnelle, souscriraient aux principes et conséquences
de la méthode. Elles s'engageraient ainsi à soutenir
l'originalité de la psychanalyse, à défendre
sa spécificité et à protéger cette
appellation aujourd'hui menacée : "psychanalyste".
La tenue des États généraux
de la psychanalyse ne serait-elle pas une occasion de constituer
ou d'élargir un tel ensemble ?
Jean PERROY, Secrétaire
de l'APUI
PROJET POUR UNE CHARTE DES PSYCHANALYSTES
UNE CHARTE des psychanalystes aurait
à exposer et à rendre publique l'ensemble des principes
fondamentaux de la pratique psychanalytique, avec les éléments
d'éthique et de déontologie qu'elle implique.
Elle aurait pour buts :
- de constituer un document de référence : d'une
part, pour être en mesure de répondre à d'éventuelles
dispositions réglementaires susceptibles de modifier le
statut actuel de la psychanalyse, qui est celui d'une "profession
non réglementée" ; d'autre part, pour donner
appui à la mise en place éventuelle de structures
nouvelles, dont les psychanalystes pourraient avoir besoin ;
- d'affirmer que c'est avant tout la méthode inaugurée
et promue par Freud qui fait autorité, ce principe permettant
de distinguer les pratiques relevant d'une interprétation
juste de la méthode de celles qui n'en relèvent
pas ;
- de donner lieu à un ensemble de personnes qui, ayant
souscrit aux principes et conséquences de la méthode
énoncés dans le présent texte, s'engageraient
à travailler à l'affirmation et à la défense
de la psychanalyse.
- d'informer ceux qui s'interrogent sur la situation psychanalytique
comme lieu possible de leur demande, ainsi que ceux qu'interrogent
la spécificité de la pratique psychanalytique et
sa place aujourd'hui dans la cité, en raison de leurs
préoccupations sociales, scientifiques ou politiques.
CE PROJET s'adresse aux psychanalystes.
Ceux qui y reconnaîtront les principes de leur pratique
sont invités à le soutenir.
Deux titres sont distingués, pour
traiter successivement :
- de ce qui rend opportune l'élaboration d'une charte
: les motifs ;
- de ce qui constitue le corps du document : la méthode
psychanalytique.
CHARTE
LES MOTIFS
- Des données sociales et économiques nouvelles
- Une spécificité questionnée par les extensions
de la pratique
- Une situation juridique confuse
LA MÉTHODE PSYCHANALYTIQUE
- De la pratique
- Du praticien
DE LA FORMATION ou LA QUESTION DE LA TRANSMISSION
- Quelles finalités et quelle transmission ?
- Une expérience spécifique de l'inconscient
- Du contrôle
- La reconnaissance et l'habilitation
- L'éthique du psychanalyste
TITRE I : LES MOTIFS
1. DES DONNÉES SOCIALES ET ÉCONOMIQUES
NOUVELLES.
La mutation sociale qui marque irréversiblement
la culture et la civilisation de notre siècle impose que
la psychanalyse la prenne en compte, d'autant qu'elle en est
un facteur déterminant. Des données sociales et
culturelles nouvelles ont aussi marqué l'évolution
du mouvement psychanalytique.
Le nombre des psychanalystes s'est rapidement
accru depuis l'implantation de la psychanalyse dans l'ensemble
des régions, à la fin des années 60. Des
lignes de partage, déterminées par les positions
théoriques et les affinités, ont suscité
des ruptures et la mise en place d'un grand nombre d'associations
et d'institutions psychanalytiques. Il en résulte une
diversité, qui pourrait être féconde, si
elle ne venait masquer l'existence de principes communs. Expliciter
et réaffirmer ces principes, c'est l'un des buts de la
charte.
Dans le même temps, des analystes
non inscrits dans les institutions ont engagé une pratique
aussi bien dans le cadre des établissements de soins,
où ils sont "reconnus" comme "psychothérapeutes",
que dans celui du cabinet privé. De multiples réseaux
s'enchevêtrent désormais, ce qui rend problématiques
la distinction et la reconnaissance des uns et des autres. Aussi
importe-t-il que les psychanalystes restent attentifs à
ce que soient réunies les conditions nécessaires
à la réélaboration permanente de ce qui
est fondateur, afin d'en assurer la transmission.
La conjoncture économique critique,
qui affecte l'ensemble de la population, est venue accentuer
certains traits que la "démographie" psychanalytique
avait dessinés.
Progressivement, les psychanalystes exerçant
uniquement en libéral sont devenus l'exception. La plupart,
médecins ou psychologues, ont une pratique complémentaire
dans les institutions médico-psychologiques ou médico-sociales
et parfois dans les établissements de formation ou d'enseignement.
D'une façon générale, le statut salarial
proposé ne reconnaît pas la fonction de psychanalyste.
Se faire connaître, éventuellement
par le recours à des moyens d'annonce divers, est devenu
une préoccupation importante, qui prend quelquefois le
pas sur le désir de se faire reconnaître par ses
pairs. De même, la signature de "feuilles de maladie"
par des psychanalystes diplômés de médecine
devient une pratique courante ; en assimilant chaque séance
à un acte médical, elle en permet le remboursement.
En rapport avec ces données sociales et économiques,
le risque de médicalisation de la psychanalyse se précise
et les demandes parviennent au psychanalyste sous des formes
parfois inédites, tandis que des questions, qui concernent
aussi bien la technique analytique que la formation des analystes,
se posent avec acuité. Cette situation soulève
des problèmes éthiques et déontologiques
insuffisamment élaborés.
2. UNE SPÉCIFICITE QUESTIONNÉE PAR LES EXTENSIONS
DE LA PRATIQUE.
Avec l'accroissement du nombre des analystes
et l'extension généralisée de la psychanalyse,
la pratique elle-même s'est étendue soit hors du
cadre de la cure, soit hors du cabinet privé. Il s'agit
principalement d'interventions auprès d'enfants, de patients
dits psychotiques ou de patients hospitalisés. Ces pratiques
hors-cadre se réfèrent à une conception
de l'activité psychique et du sujet, qui est issue de
la théorie psychanalytique; elles sont parfois désignées
comme des psychothérapies, mais une position et une interrogation
psychanalytiques y sont soutenues.
D'autres pratiques, qui se donnent pour
but d'éliminer certains symptômes, se réfèrent
à des modèles très différents, même
si elles empruntent volontiers quelques-uns de leurs concepts
à la psychanalyse. Elles s'inscrivent aussi dans le vaste
domaine des psychothérapies, que des Etats européens
ont d'ailleurs commencé de réglementer en y incluant
la psychanalyse.
Dans ce contexte, la question de la spécificité
de la psychanalyse se pose d'une façon cruciale, en même
temps que celle de la transmission. La délimitation de
l'activité psychanalytique et sa distinction des autres
pratiques imposent que soit rappelé sans cesse le corpus
de doctrine qui reste fondateur. Mais c'est la méthode
freudienne qui fait autorité; c'est elle qui permet l'ouverture
d' un espace d'énonciation pour le sujet.
3. UNE SITUATION JURIDIQUE CONFUSE.
En tant qu'individu exerçant une
activité au sein de la société, tout praticien
de la psychanalyse ressortit du droit commun. L'exercice de la
psychanalyse se trouve soumis, de ce fait, à un statut
civil et à un régime fiscal.
Par son statut civil, la psychanalyse
est définie comme une profession libérale, bien
que, dans les faits, elle soit parfois assimilée à
une "profession para-médicale non réglementée"
(attendus de l'arrêt du Conseil d'Etat du 4 mai 1990).
En l'absence d'une définition réglementaire de
l'acte psychanalytique ou de la protection du titre de psychanalyste,
elle relève du régime général des
professions libérales.
De cette absence de position réglementaire
découle, en l'état actuel, une disparité
du régime fiscal. Ainsi le titre de docteur en médecine
permet l'exonération de la TVA, de même que certains
diplômes de psychologues et certaines activités
psychologiques, alors que d'autres psychanalystes y sont assujettis.
Un même acte psychanalytique relève donc de deux
statuts réglementaires différents. Il en résulte
une inégalité fiscale.
La situation professionnelle du psychanalyste,
face au droit, est ainsi caractérisée par des incohérences
ou des contradictions, qui doivent nous interroger.
TITRE II : LA MÉTHODE PSYCHANALYTIQUE
I - DE LA PRATIQUE.
1.1. L'inconscient et le fonctionnement
psychique.
La pratique de la psychanalyse consiste
en une écoute qui vise à la reconnaissance des
déterminations inconscientes régissant les choix,
les conduites aussi bien que les modes de penser d'un sujet.
Qu'il s'agisse de lapsus, d'actes manqués, de rêves
et de symptômes témoignant de ce qui a été
refoulé ou qu'il s'agisse de délires et autres
symptômes traduisant le rejet de la réalité,
ce sont autant de manifestations de l'inconscient défini
par Freud.
Dans les mises en scène où
il est représenté, le sujet ne se reconnaît
pas. S'il est propre à l'homme de produire des énoncés
qui fomentent du sens en réponse aux questions essentielles
de son existence, il n'est aucune réponse, comme aucune
représentation, dans lesquelles le sujet puisse se définir.
C'est la prétention à vouloir
des réponses sans faille qui cause le symptôme.
La psychanalyse, en permettant au sujet de se reconnaître
assujetti dans les mises en scène en question, a pour
effet de rendre possible la déliaison des éléments
qui y sont en jeu. Il y a déliaison de ce qui maintient
le sujet dans une conformité, celle précisément
d'un assujettissement. Pour ce travail, il n'est aucun modèle
qui puisse être proposé par l'analyste.
Le caractère conflictuel de la
vie psychique apparaît de façon manifeste, dès
lors que l'exigence radicale de ne mettre aucune limite à
la parole, qui est au principe de la situation analytique, se
heurte aux forces conservatrices, dites de résistance,
sans cesse à l'uvre chez l'individu et son entourage.
Ce qui ne peut être remémoré tend à
se répéter et les actualisations dans le transfert
en permettent l'interprétation.
1.2. Le transfert et l'interprétation.
Dans le rapport qui s'instaure entre
le patient et l'analyste, l'analysant met en acte des positions
subjectives anciennes ; le transfert est cette mise en acte de
la réalité de l'inconscient. Le lien engendré
est d'autant plus fort que la tension exercée reste en
défaut de réponse et en suspens de satisfaction
ou de tout espèce d'achèvement. Le principe éthique
qui s'impose d'emblée est qu'une telle relation ne soit
sous aucun prétexte utilisée à des fins
autres que l'analyse, quand bien même il s'agirait de ce
qui peut apparaître dans l'immédiat comme le bien
du patient ou même le bien commun. Ici s'inscrit la radicalité
de la psychanalyse, par quoi elle se distingue de toutes les
pratiques appelées psychothérapies.
L'interprétation est l'un des
actes essentiels de la pratique analytique, celui par lequel
l'analyste transforme la tension issue du transfert. Elle n'est
pas de l'ordre de l'explication abstraite ou du renvoi aux termes
d'une doctrine ; de tels exposés, qui restent le plus
souvent sans force face aux pulsions inconscientes, ne feraient
qu'opposer une conviction à une autre.
L'interprétation psychanalytique
implique que l'analyste reconnaisse et accepte la place que l'analysant
lui désigne, mais sans s'y laisser assigner. Ce qu'on
appelle souvent contre-transfert est l'effet sur l'analyste de
cette imputation du patient. Par son propre travail psychique
et par son expérience, l'analyste se met en position d'y
répondre par un acte de parole, qui a pour effet l'émergence
de certaines connexions et fixations inconscientes du désir.
Les opérations de liaison / déliaison qui en résultent
rendent possibles de nouveaux agencements pulsionnels, imaginaires
et langagiers, à travers lesquels le patient se découvre
une capacité de penser et vivre autrement.
Un acte aussi singulier n'est réalisable
qu'en dehors de tout souci de conformité, dans une situation
ouverte à l'invention.
1.3. Le cadre et le dispositif.
Les éléments constitutifs
du cadre et du dispositif sont fixés à l'issue
d'une période plus ou moins longue d'entretiens préliminaires.
Le cadre est l'ensemble des conditions
de temps, de lieu et d'argent nécessaires au déroulement
de la cure. Sa fonction a toujours suscité des différences
de points de vue entre psychanalystes. Pour tous, cependant,
le cadre n'a de sens qu'en tant qu'instrument permettant de mettre
en place, côté analysant, la règle de libre
association, dite encore règle fondamentale, à
laquelle répond, côté analyste, l' "attention
flottante".
La position de l'analyste se caractérise
au moyen de deux notions freudiennes également fondamentales
: d'une part, la nécessité de suspension du jugement,
qui va de pair avec la non-réponse (et qu'on appelle parfois
"neutralité bienveillante") ; d'autre part,
la règle dite d'abstinence ou du "non agir",
qui engage à parler là où le mouvement spontané
porterait à "faire". Etant donné qu'ils
conditionnent la mise en uvre de la règle fondamentale,
ces deux principes, auxquels il convient de joindre le respect
du secret, appartiennent à la déontologie de l'analyste.
Le travail analytique est soumis à
une temporalité qui est celle de l'élaboration
psychique. Il appartient au psychanalyste de respecter cette
temporalité et d'en tenir compte dans la conduite de la
cure.
Quant à l'argent, autre élément
du cadre, il ne vient pas seulement rétribuer le savoir,
le travail et le temps de l'analyste. L'acte de paiement est
à considérer aussi dans sa fonction symbolique
et symbolisante, c'est-à-dire dans son rapport à
la condition subjective : acte de séparation, reconnaissance
de la dette et de la loi. Cette nécessité vaut
aussi pour l'analyste.
Le dispositif, dont le divan et le fauteuil
restent les éléments majeurs dans la cure de l'adulte,
est destiné, lui aussi, à favoriser la mise en
place de la règle fondamentale. Le corps s'y trouve concerné,
mais de manière à ce que le sujet en éprouve
la réalité à travers les achoppements de
son dire.
De la façon dont les éléments
du cadre et du dispositif sont mis en place lors de l'inauguration
de la cure ou parfois réaménagés, le psychanalyste
doit pouvoir rendre raison selon une élaboration renouvelée,
plutôt que selon la conformité à des coutumes.
1.4. La visée de la cure.
La cure est un processus qui vise à
donner au sujet la possibilité d'articuler les éléments
constitutifs de sa vérité singulière. Le
patient s'y engage avec son symptôme et sa souffrance :
la dimension thérapeutique y est donc présente,
quoiqu'elle puisse devenir elle-même l'objet de la résistance.
Le travail analytique, en effet, modifie
le rapport du sujet aux manifestations de l'inconscient. Les
modifications opérées concernent tout aussi bien
le corporel que le psychique. Cette mise en jeu du rapport au
corps dans sa dimension subjective et inconsciente distingue
radicalement la cure de toute autre forme d'aide ou de soin.
Elle donne une signification spécifique à la notion
de guérison.
II - DU PRATICIEN
2.1. Ce qui fonde sa pratique.
Freud n'a cessé de souligner que
l'essentiel de sa théorisation réside dans le repérage
des mécanismes psychiques qui permettent à chaque
sujet, dans la situation analytique, de découvrir comment
s'est construit son propre monde. Ainsi relativise-t-il les articles
d'une doctrine qui, précise-t-il, n'est pas une conception
nouvelle du monde.
Dire ce qui fonde la pratique inaugurée
par Freud, c'est donc reconnaître et prendre en considération
les processus inconscients et le caractère dynamique de
l'inconscient, la résistance et le refoulement, le complexe
d'Oedipe comme enjeu identificatoire, la sexualité infantile
et l'étiologie sexuelle des névroses.
La transmission des principes fondamentaux
ne relève pas d'un discours sur la psychanalyse, ni sur
la méthode qui la rend possible. De leur mise à
l'épreuve au cours de l'analyse du futur psychanalyste
et de l'intime connaissance ainsi acquise dépend la capacité
du praticien à tenir sa place.
2.2. Son rapport au savoir et à
la théorie.
Le savoir à l'uvre dans
la cure n'est donc pas de l'ordre de l'application d'un corpus
de connaissances déjà constitué. Alors qu'il
ne manque pas d'être sollicité, comme tout praticien,
dans le registre de son savoir, le psychanalyste se doit d'être
à l'écoute du plus singulier de chaque sujet. Il
réinvente, jour après jour, ce qui peut maintenir
la pratique renouvelée pour chaque patient et rendre possibles
déliaisons et liaisons nouvelles.
Les analystes sont ainsi mis dans la
contradiction d'avoir à exercer cette fonction, tout en
produisant un travail de théorisation, autour duquel ils
s'organisent. Pour rester fécond, ce travail ne peut avoir
d'autre statut que celui d'une expérience, dans laquelle
l'analyste s'engage. La théorie a pour fonction d'apporter
les jalons et repères nécessaires à la recherche
de chacun. Depuis Freud, d'autres analystes ont marqué
l'histoire de la théorie et du mouvement, contribuant
ainsi à l'avancement de la psychanalyse et à l'extension
de son aire de pertinence.
2.3. Pouvoir et désir.
Le pouvoir de l'analyste ne tenant qu'à
celui de susciter et de maintenir, pour lui et avec l'autre,
cette ouverture qui est la condition de l'analyse, il lui faut
être capable d'en supporter les effets transférentiels.
Autrement dit, il ne cesse d'être
attentif à ce que les forces de son désir, surtout
celles qui l'ont conduit à exercer sa fonction, laissent
le champ libre à l'expression d'un désir autre
et gardent ouvert l'accès aux moyens de sa reconnaissance.
L'aptitude à exercer cette fonction constitue l'enjeu
crucial et la pierre de touche de la formation du psychanalyste.
III - DE LA FORMATION ou
LA QUESTION DE LA TRANSMISSION
3.1. Quelles finalités et quelle
transmission ?
La question de la formation de l'analyste
et celle de la transmission de la psychanalyse sont conjointes.
S'agissant d'une expérience qu'il appartient à
chacun de ré-inventer, dans chaque analyse, c'est aussi
bien la question de la transmissibilité qui pourrait être
posée. Sans doute y a-t-il continuité dans la reprise
du cadre qui rend possible la mise en place de la règle
fondamentale et l'instauration du processus analytique. Mais,
c'est l'expérience elle-même, en tant qu'elle conduit
au surgissement du sujet, qui est précisément à
transmettre ; tel est le paradoxe de la transmission de la psychanalyse.
Si l'acquisition de connaissances approfondies
est indispensable, aucun modèle universitaire ne saurait
définir la forme et le contenu de la formation que nécessite
la pratique analytique. Cette formation doit répondre,
en effet, aux objectifs suivants : permettre au futur analyste
d'expérimenter la logique de l'inconscient, dont relèvent
les plus puissantes déterminations des conduites humaines
; le rendre apte à reconnaître et à travailler
les relations transférentielles, qui commandent la situation
analytique; le conduire à reconnaître aussi la nature
intrinsèquement conflictuelle de la vie psychique; lui
permettre enfin de soutenir le caractère paradoxal d'une
situation, où les termes du conflit sont à analyser
sans prétention de le clore. La psychanalyse du futur
analyste s'impose ici comme une deuxième règle,
tout aussi fondamentale que la première.
3.2. Une expérience spécifique
de l'inconscient.
Le premier temps de toute formation consiste
donc en une interrogation qui se soutient dans le dispositif
d'une psychanalyse. Le sujet y met en question son histoire,
ses orientations, ses options intellectuelles, son organisation
libidinale et les choix de sa vie sexuelle. Il peut ainsi reconnaître
la singularité de ses déterminations inconscientes,
la force des résistances qui se déploient à
la faveur du transfert et la nécessité de la perlaboration.
Cette expérience est spécifique.
Elle est celle de tout analysant. Aucune discipline d'introspection,
d'auto-analyse, d'apprentissage ou d'études et de productions
textuelles ne saurait se substituer au cheminement long et aventureux
que constitue la rencontre analytique. La décision du
sujet de s'engager lui-même dans la pratique de la psychanalyse,
en place et fonction de psychanalyste, ouvre sur un autre parcours.
Pour autant, le moment qui conduit à cette décision
ne marque pas le terme de l'analyse de l'analyste.
3.3. Du contrôle.
Le deuxième temps de la formation
est constitué par la pratique dite de contrôle ou
de supervision. Dès lors qu'un sujet se place en situation
d'écoute d'un patient, la question se pose pour lui de
pouvoir rendre compte de sa position dans la conduite des cures,
de façon à l'élaborer. La situation de contrôle,
qui implique et met en question un tiers, est expérimentée
sous différentes modalités. Ce temps est essentiel
; aucun analyste ne saurait s'en dispenser.
Le contrôleur se tient à
la fonction de psychanalyste et prend en compte toutes les places
auxquelles il est particulièrement sollicité (enseignant,
garant, recours), afin de pouvoir reconnaître les transferts
à l'uvre et exercer sa libre écoute. Pour
autant, cette position n'exclut pas la référence
critique aux savoirs constitués, voire aux élaborations
théoriques en cours.
3.4. La reconnaissance et l'habilitation.
Le troisième temps d'un parcours
de formation est celui de la reconnaissance et de l'habilitation.
Sa difficulté particulière tient à ce que
la reconnaissance d'une capacité d'invention, d'une aptitude
à entendre l'inouï et à considérer
l'autre dans son originalité singulière n'est pas
affaire de codifications. Les différentes associations
de psychanalystes traitent de façon interne cette question
selon des critères qui font l'objet d'un ré-examen
continuel.
3.5. L'éthique du psychanalyste.
L'éthique du psychanalyste se
règle sur le maintien d'un espace d'énonciation,
où le sujet puisse advenir en son désir et sa vérité.
Cette éthique se fonde sur un principe d'altérité
qui repose non seulement sur la reconnaissance de l'autre comme
différent, mais aussi et d'abord sur la reconnaissance
d'un lieu spécifique où se déploie la parole.
* * *
Cette version III du projet témoigne
du travail de perlaboration accompli depuis le texte initial.
Mais le travail est à poursuivre ; il reste ouvert à
la contribution de chacun.
Le "Projet pour une charte des psychanalystes"
focalise un double mouvement de recentrage et d'ouverture : recentrage
de l'analyse sur ce qui en constitue l'essentiel ; ouverture
des analystes, pour accueillir la nouveauté des questionnements
et les élaborer.
Le Conseil d'administration
de l'APUI