psychanalyse In situ
Que dire de la soumission ? Y a-t-il un abord possible à partir de la psychanalyse ? Tâche écrasante si lon songe à tout ce qui a déjà été écrit. Pour commencer je me décommande ; oui, je me décommande des grandes voies tracées pour prendre un chemin de traverse.
Faut-il toujours honorer ses rendez-vous ? Se rendre aux raisons des autres ? Peut-on se donner le droit de se " décommander ", de se révolter, au nom daucun discours préformé ? Vivre sans excuses. Ne plus se rendre aux rendez-vous du devoir ; familial, filial, conjugal, amical, professionnel, patriotique, voire même des plaisirs répertoriés.
Rarement lon rechigne à se rendre au rendez-vous damour. Alors que dire de la surprise quand même ce plaisir se mue en devoir et se manifeste cette poussée étrange, la poussée de liberté.
Un autre plaisir, un autre désir.
Dans le Malaise de la Civilisation, Freud mentionne la poussée de liberté, "Freiheitsdrang" sur laquelle il ne sattarde pas beaucoup, dont il constate néanmoins lexistence et la persistance.
" Quand une communauté humaine sent sagiter en elle une poussée de liberté, cela peut répondre à un mouvement de révolte contre une injustice patente, devenir ainsi favorable à un nouveau progrès culturel et demeurer compatible avec lui. Mais cela peut être aussi leffet de la persistance dun reste de lindividualisme indompté et former alors la base de tendances hostiles à la civilisation. La poussée de liberté se dirige de ce fait contre certaines formes ou certaines exigences culturelles, ou bien même contre la civilisation ".2
Alors quil reliait systématiquement la sexualité de ladulte aux avatars de la sexualité infantile, la poussé de liberté semble pour Freud devoir remonter à un individualisme primitif indomptable. Sans cesse nous sommes ramenés à la croisée du collectif et de lindividuel, à la butée des événements propres à lhistoire dun sujet particulier contre les événements de lHistoire, et les codes imprimés par lévolution des mentalités. Historiciser la sexualité - ce qui a déjà été fait - et construire un récit de lindividu aux prises avec la poussée de liberté. Se référer comme Freud la fait aux seuls restes dun individualisme des " primitifs " est insuffisant. Je vais tenter ici une fiction, petit récit partiel de lenfance de cette poussée. Il y a dans la vie des moments de grâce. Moments où lon se sent libre. Je ne parlerai pas de la liberté en général, mais du sentiment de liberté qui procure une vraie joie et propulse lactivité humaine vers de nouveaux possibles. Que valent toutes les menaces, toutes les intimidations au regard de cette jubilation unique de se sentir libre, ne fut-ce que quelques instants, souvent cher payés ? Si le sentiment de liberté nétait un bien si précieux pour lhomme, on ne comprendrait rien aux révoltes les plus risquées, aux engagements les plus fous, aux agissements des casseurs de toutes sortes. Il est dangereusement réducteur dévoquer à ce propos le simple défoulement dune agressivité réprimée. Il y a dans lhomme un désir daffranchissement qui peut aller bien au-delà dun équilibrage bien tempéré de ses pulsions, ou encore de ses intérêts bien compris. La jouissance de la liberté est une exigence à part entière. Les discours bienséants de la démocratie, même sils sont ce quil y a de moins mauvais, népuisent pas et ne peuvent satisfaire cette poussée vers la liberté, poussée singulière et sauvage, dautant plus sauvage que la " civilisation " demande le sacrifice des pulsions et, au prétexte de respecter quelques espaces propres, elle réglemente le temps de chacun de manière invisible, mais féroce... On feint de croire que le monde marche grâce aux hommes de devoir, prétendus représentants dune responsabilité collective. Est-ce pour cela que le monde marche si mal ? Devons-nous la " civilisation " seulement aux hommes de devoir ? Ce sont les autres, créateurs impénitents, inventeurs à hauts risques ou saltimbanques zoneurs qui ensemencent les richesses du monde. Les hommes de devoir, la mine grise, complet veston, font tourner la machine. La grande machine broyeuse de notre temps qui régule le quotidien de la vie et les disciplines collectives. Or la création aussi demande discipline, mais ce nest pas la même. Bien souvent entre les deux il y a conflit. Le poète se décommande de lusage convenu de la langue. Il la malmène et réinvente une langue dans la langue. Chaque vie pour être vivante se doit ces moments où lon se décommande et impulse une vie dans la vie. On se demande pourquoi la dépression est le symptôme dominant de notre époque en Occident : est-ce parce que les oppressions sont devenues invisibles et évacuent la mise en jeu des corps singuliers ? Oppressions de plus en plus désincarnées. Même si nous ne vivons pas sous le joug de féroces tyrans qui ont la mainmise sur les corps, nous vivons une ère de soumission aux discours qui, dans ses effets profonds, valent tyrannie. Très tôt dans la vie, la soumission nous est inculquée. Elle est apprise, puisque lenfant avant toute chose apprend à obéir, que lobéissance est pour lui liée à son développement même. Il en faut certes, dès lors quil sagit de le " dresser " afin quil respecte les règles nécessaires à son devenir adulte. Il en faut, mais jusquoù ? Et quel en est le coût ? " Le mal est originellement ce pourquoi on est menacé dêtre privé damour "disait Freud, mettant ainsi en relation la soumission et lamour. Les psychanalystes parlent aujourdhui plus volontiers en termes de lois. Or la loi nest pas seulement cette grande et belle chose qui empêche linceste et le meurtre, ni même lensemble des prescriptions dune tradition ! Est souvent pris pour la loi lensemble dinterdits que véhicule le droit actuel qui exerce aussi une violence inouïe. Le droit combat la violence par lexercice dune autre violence. Selon Freud, il y aurait deux issues aux pulsions destructives de lhomme : le refoulement et la sublimation ; à cette dernière, la culture est sensée offrir des modalités satisfaisantes. Le droit refoule et noffre pas toujours des modalités de sublimation à bien dautres poussées de lindividu, pas toutes issues de sa destructivité native. De toutes façons il néchappe pas à la culpabilité face à la machine à réglementer le temps, le temps de lhomme-machine ou de la machinique répétition, signe dune soumission à luvre... Mais à quoi est-on soumis ? Pour le dire brièvement : linstrument de toute soumission est toujours un discours, fut-il sans paroles. Tout discours a sa cohérence, il tient sa cohérence dun idéal qui lui est consubstantiel. Cet idéal est variable. Pour Freud, il sagirait du " Père Idéal ". La cohérence, due à la logique interne dun discours, système de pensée qui loppose ou le conjoint à dautres, est plus contraignante que lIdéal en lui-même. Chaque discours implique un ensemble de faires. Or cest le " Moi " qui relie le sujet aux discours. Le moi qui a partie liée avec le Surmoi. Le discours est en surplomb, il vient den haut, bien que nous ne le sachions pas toujours. Pourquoi est-il en surplomb ? Parce quil est toujours déjà-là. Avant que lon nait proféré le premier mot, il est déjà-là. Il donne sa cohérence à toute situation, faute de quoi la situation est vécue comme insensée. Il y a des situations pourtant qui, bien quétant folles, les situations dextermination par exemple, pouvaient néanmoins prétendre à une cohérence, grâce aux discours qui les structuraient pour les protagonistes Si les victimes étaient opprimées de fait par une violence concrète et massive, les vrais soumis étaient les bourreaux. Comment des folies meurtrières et systématiquement exécutées peuvent-elles se mettre en place si ce nest par lapparente cohérence dun discours qui les justifie ? Le charisme dun chef joue à partir dun discours quil rend crédible, voire aimable. Car la seule pulsion destructrice est insuffisante à expliquer les meurtres systématiques. La pulsion est désordonnée, le discours la canalise et lui assigne des cibles autorisées. La cohérence la plus infâme rend ainsi acceptables pour le Moi ses exigences. Je ne mattarderai pas sur ces cas extrêmes, je voudrais parler de la soumission ordinaire. La vie en société exige de tout individu une immense aptitude à la soumission. Winnicott disait :
Alors quil reliait systématiquement la sexualité de ladulte aux avatars de la sexualité infantile, la poussé de liberté semble pour Freud devoir remonter à un individualisme primitif indomptable. Sans cesse nous sommes ramenés à la croisée du collectif et de lindividuel, à la butée des événements propres à lhistoire dun sujet particulier contre les événements de lHistoire, et les codes imprimés par lévolution des mentalités. Historiciser la sexualité - ce qui a déjà été fait - et construire un récit de lindividu aux prises avec la poussée de liberté. Se référer comme Freud la fait aux seuls restes dun individualisme des " primitifs " est insuffisant.
Je vais tenter ici une fiction, petit récit partiel de lenfance de cette poussée.
Il y a dans la vie des moments de grâce. Moments où lon se sent libre. Je ne parlerai pas de la liberté en général, mais du sentiment de liberté qui procure une vraie joie et propulse lactivité humaine vers de nouveaux possibles. Que valent toutes les menaces, toutes les intimidations au regard de cette jubilation unique de se sentir libre, ne fut-ce que quelques instants, souvent cher payés ? Si le sentiment de liberté nétait un bien si précieux pour lhomme, on ne comprendrait rien aux révoltes les plus risquées, aux engagements les plus fous, aux agissements des casseurs de toutes sortes. Il est dangereusement réducteur dévoquer à ce propos le simple défoulement dune agressivité réprimée. Il y a dans lhomme un désir daffranchissement qui peut aller bien au-delà dun équilibrage bien tempéré de ses pulsions, ou encore de ses intérêts bien compris.
La jouissance de la liberté est une exigence à part entière. Les discours bienséants de la démocratie, même sils sont ce quil y a de moins mauvais, népuisent pas et ne peuvent satisfaire cette poussée vers la liberté, poussée singulière et sauvage, dautant plus sauvage que la " civilisation " demande le sacrifice des pulsions et, au prétexte de respecter quelques espaces propres, elle réglemente le temps de chacun de manière invisible, mais féroce...
On feint de croire que le monde marche grâce aux hommes de devoir, prétendus représentants dune responsabilité collective. Est-ce pour cela que le monde marche si mal ? Devons-nous la " civilisation " seulement aux hommes de devoir ?
Ce sont les autres, créateurs impénitents, inventeurs à hauts risques ou saltimbanques zoneurs qui ensemencent les richesses du monde. Les hommes de devoir, la mine grise, complet veston, font tourner la machine. La grande machine broyeuse de notre temps qui régule le quotidien de la vie et les disciplines collectives. Or la création aussi demande discipline, mais ce nest pas la même. Bien souvent entre les deux il y a conflit.
Le poète se décommande de lusage convenu de la langue. Il la malmène et réinvente une langue dans la langue. Chaque vie pour être vivante se doit ces moments où lon se décommande et impulse une vie dans la vie. On se demande pourquoi la dépression est le symptôme dominant de notre époque en Occident : est-ce parce que les oppressions sont devenues invisibles et évacuent la mise en jeu des corps singuliers ? Oppressions de plus en plus désincarnées. Même si nous ne vivons pas sous le joug de féroces tyrans qui ont la mainmise sur les corps, nous vivons une ère de soumission aux discours qui, dans ses effets profonds, valent tyrannie.
Très tôt dans la vie, la soumission nous est inculquée.
Elle est apprise, puisque lenfant avant toute chose apprend à obéir, que lobéissance est pour lui liée à son développement même. Il en faut certes, dès lors quil sagit de le " dresser " afin quil respecte les règles nécessaires à son devenir adulte. Il en faut, mais jusquoù ? Et quel en est le coût ?
" Le mal est originellement ce pourquoi on est menacé dêtre privé damour "disait Freud, mettant ainsi en relation la soumission et lamour.
Les psychanalystes parlent aujourdhui plus volontiers en termes de lois. Or la loi nest pas seulement cette grande et belle chose qui empêche linceste et le meurtre, ni même lensemble des prescriptions dune tradition ! Est souvent pris pour la loi lensemble dinterdits que véhicule le droit actuel qui exerce aussi une violence inouïe. Le droit combat la violence par lexercice dune autre violence.
Selon Freud, il y aurait deux issues aux pulsions destructives de lhomme : le refoulement et la sublimation ; à cette dernière, la culture est sensée offrir des modalités satisfaisantes. Le droit refoule et noffre pas toujours des modalités de sublimation à bien dautres poussées de lindividu, pas toutes issues de sa destructivité native. De toutes façons il néchappe pas à la culpabilité face à la machine à réglementer le temps, le temps de lhomme-machine ou de la machinique répétition, signe dune soumission à luvre...
Mais à quoi est-on soumis ? Pour le dire brièvement : linstrument de toute soumission est toujours un discours, fut-il sans paroles. Tout discours a sa cohérence, il tient sa cohérence dun idéal qui lui est consubstantiel. Cet idéal est variable. Pour Freud, il sagirait du " Père Idéal ". La cohérence, due à la logique interne dun discours, système de pensée qui loppose ou le conjoint à dautres, est plus contraignante que lIdéal en lui-même. Chaque discours implique un ensemble de faires.
Or cest le " Moi " qui relie le sujet aux discours. Le moi qui a partie liée avec le Surmoi. Le discours est en surplomb, il vient den haut, bien que nous ne le sachions pas toujours. Pourquoi est-il en surplomb ? Parce quil est toujours déjà-là. Avant que lon nait proféré le premier mot, il est déjà-là. Il donne sa cohérence à toute situation, faute de quoi la situation est vécue comme insensée.
Il y a des situations pourtant qui, bien quétant folles, les situations dextermination par exemple, pouvaient néanmoins prétendre à une cohérence, grâce aux discours qui les structuraient pour les protagonistes Si les victimes étaient opprimées de fait par une violence concrète et massive, les vrais soumis étaient les bourreaux. Comment des folies meurtrières et systématiquement exécutées peuvent-elles se mettre en place si ce nest par lapparente cohérence dun discours qui les justifie ? Le charisme dun chef joue à partir dun discours quil rend crédible, voire aimable. Car la seule pulsion destructrice est insuffisante à expliquer les meurtres systématiques. La pulsion est désordonnée, le discours la canalise et lui assigne des cibles autorisées. La cohérence la plus infâme rend ainsi acceptables pour le Moi ses exigences.
Je ne mattarderai pas sur ces cas extrêmes, je voudrais parler de la soumission ordinaire.
La vie en société exige de tout individu une immense aptitude à la soumission.
Winnicott disait :
" La soumission entraîne chez lindividu un sentiment de futilité, associé à lidée que rien na dimportance (...) Ils vivent de manière non créative, comme sils étaient pris dans la créativité de quelquun dautre, ou celle dune machine. "
La socialisation du petit dhomme se fait par lapprentissage, voire par lintrojection des contraintes imposées. Il est littéralement programmé pour intérioriser une série de frustrations et de pertes qui sont la condition même de son développement. Si ces frustrations sont nécessaires, elles nen sont pas moins taillées dans la même étoffe que toute exigence de soumission, même la plus injuste. Cest bien pourquoi le petit enfant ne fait pas la différence entre des exigences absurdes et celles qui lintroduisent dans un cycle de plus grande autonomie. Sans invoquer les fameux " stades " du développement sujets à discussion, il existe des étapes dans le parcours au devenir humain et adulte, chacune étant marquée par une séparation davec létape précédente. Ce nest pas tant le " stade "qui importe ici, mais les séparations inter et intra-pychiques qui sont la dynamique du développement. Chaque rupture de système comporte un passage par langoisse qui se résout en principe par un gain dautonomie. La soumission sorigine dans la dépendance obligée du petit enfant par rapport à son entourage immédiat, plus particulièrement par rapport à ses personnes dattachement, la Mère et le Père, mais aussi par rapport à lentourage plus large. Il nest pas seulement dépendant des désirs de ces personnes, mais des discours auxquels ces personnes sont elles-mêmes soumises : ce qui du collectif sest invaginé en eux. La série des séparations est traditionnellement appelée la série des castrations : orale, anale et symbolique. Langoisse en est le pivot, affect-clé pour lanalyste : elle est à la fois inévitable dans ces ruptures de systèmes, passages dune étape à lautre de la maturation ; elle peut prendre par ailleurs valeur de signe lors des manifestations pathologiques. Langoisse nest donc pas un symptôme, mais un affect particulier, que Freud avait à juste titre appelé "équivalent général de tous les affects". Tout affect contrarié peut se transformer en angoisse. Elle est la boîte noire de nos affects. Langoisse primordiale provoquée par la perte de lobjet damour, ou par la simple crainte de sa perte, est " spontanée " et non apprise, elle surgit dès les premiers mois de lenfant. La culpabilité et la honte sont en revanche des affects dapparition plus tardive. Ils nexistent que dans la mesure où il y a accès au jugement dautrui, aux valeurs langagières. Par rapport à eux langoisse est première. Or la joie est tout aussi précoce que langoisse, elle est donc antérieure aux affects socialisés (honte et culpabilité). On oublie de sétonner que la joie soit rarement évoquée dans les ouvrages de psychanalyse. Lenfant se soumet par dépendance inhérente à son état, puis pour obtenir lamour de ladulte. Lexigence de soumission et la demande damour vont donc de pair. Cest dans le moule creusé par la dépendance des besoins que viendront se loger les aptitudes à la soumission. Lacan avait proposé quatre concepts comme fondamentaux de la psychanalyse. À mon avis il convient dy ajouter un cinquième : laffect. Étrangement, Lacan lavait omis, pire encore, il lavait banni. Sans doute avait-il ses raisons. De là à dire quil avait raison ? Je répare lerreur ! Je vous propose donc de reconsidérer la psychanalyse avec, non plus quatre concepts fondamentaux, mais cinq : linconscient, le transfert, la pulsion, la répétition et laffect. Laffect est au centre de tout affranchissement, de toute révolte, et de toute poussée de liberté. Je rappelle au passage que laffect est le représentant psychique de la pulsion, la force motrice de tout acte de désir. Saffranchir dune soumission, implique la propulsion dune force du Moi et dun désir, un rapport au pathos et une actualisation possible de laffect. Dans labord de cette aire, la trilogie freudienne " Inhibition-Symptôme-Angoisse " garde une pertinence encore actuelle. Elle peut engendrer dautres variantes utiles. Lucien Mélèse avait déjà utilisé cette trilogie pour proposer une variation qui terme à terme donne pour les manifestations de crise en général et dépilepsie en particulier ceci : " Exhibition-Crise-Honte "3 À mon tour je propose celle-ci : " Soumission-Affranchissement-Jubilation ". Les trois points darticulation mettent en relation : 1 - les fonctions du Moi : inhibition-exhibition-soumission conduites patentes aux motifs inconscients, offertes à la sagacité de lanalyste. 2 les manifestations du Pathos: symptôme-crise-affranchissement en se rappelant que le pathos, ou le pathologique, est en rapport avec la passion et que la passion résulte du collectif qui contrarie la réalisation pulsionnelle brute. Quil sagisse de symptôme, de crise ou daffranchissement, cest le plus souvent une réponse à ce quune époque, cest-à-dire un certain type de discours ne supporte pas dentendre en clair, soit du fait dune censure morale soit du fait dune ignorance réelle. Symptôme, crise ou affranchissement sont donc ce qui fait signe du singulier au collectif. À ceci près que laffranchissement peut être signe pour le sujet seul, il peut revêtir un aspect de symptôme pour les autres, voire de crise. 3 - les actualisations de laffect : angoisse-honte-jubilation langoisse étant laffect par excellence dont soccupe la psychanalyse. La jubilation manifeste un dégagement opéré. La honte résulte du collectif comme instance. Je ne prétends pas que tout affranchissement implique la joie, il arrive même que vouloir mourir se signifie par un " je me décommande ", mais on ne peut pas éviter de prendre en compte la jubilation que procure tout acte daffranchissement quelles quen soient ultérieurement les conséquences. Ce qui est frappant dans la théorie de la psychanalyse cest la place exorbitante accordée à ce quon appelle la série des castrations, série de frustrations et de renoncements au détriment dautres processus constitutifs dans lévolution du petit dhomme. En dautres termes la série des séparations nécessaires, inter et intra-psychiques dans le développement de lenfant dont les avatars nous permettent effectivement de comprendre un grand nombre de manifestations de souffrances et de symptômes. Il est moins évident dans ce contexte de comprendre sur quelles expériences précoces sétayent le désir et les capacités de lhomme à se révolter dune façon non pathologique, à vivre de temps en temps hors la soumission que lon dit " volontaire ", ainsi que son aptitude à être joyeux en dépit dune réalité qui ne ly encourage pas souvent. Le plaisir dorgane, les satisfactions libidinales et narcissiques sont certes là pour nous éclairer sur ses possibilités de bonheur, mais il ma semblé que lon devait ajouter à cette quête le désir de liberté. Le sentiment de liberté fait partie, pour certains plus que pour dautres, de ce bonheur. Plutôt que de menfermer dans les discussions sans fin sur laliénation, linexistence de la liberté en soi, ou de la liberté comme pur leurre, je voudrais simplement explorer certains moments psychiques où domine laffect de la joie, résultante dun affranchissement. Laffranchissement provoque une déchirure dans le temps social commun que la joie fait oublier de surcroît. Langoisse originellement liée à lattente, au contraire, pâtit du temps qui nen finit pas de ne pas passer. Que le cur saccélère dans un cas comme dans lautre est une piètre consolation... Quelle ne fut donc pas ma joie de mapercevoir que face à la série des castrations, il était possible daligner une autre série, série de la jubilation, toute aussi fondatrice dans le développement de lenfant. La série jubilatoire napparaît pas demblée parce quelle ne figure pas chez un même auteur, elle pointe en discontinu et ne devient lisible quaprès le repérage dune transversale faisant passerelle entre Freud, Winnicott et Lacan. Elle nest ni éducative, ni adaptatrice, contrairement à celle des castrations ou des renoncements. Elle existe dans la théorie analytique mais na pas été isolée comme telle parce que chaque moment a été observé par un analyste différent, chacun ayant bâti tout un pan de sa théorie à partir dun moment daffranchissement jubilatoire observé chez lenfant. Il est étonnant que trois grands analystes, trois cliniciens, trouvent des idées clés de leur théorie non pas en écoutant les patients en cure, mais en observant des petits enfants en direct. Observation hors tout dispositif produit par la psychanalyse qui, de par ses contraintes, impose le déjà-là, le déjà-pensé et empêche de ce fait dautres pensées dadvenir. Cela peut laisser songeur... En tout cas cela permet de redonner la place à limportance de lexpérience vécue comme lieu de naissance des idées théoriques pour la psychanalyse. Ces trois moments sont charnières, et dans le devenir de lenfant et dans la théorie analytique. Jen citerai trois, il en existe sans doute dautres. 1 - Le moment du Fort Da : Freud regardant son petit-fils jouer avec une bobine répétant inlassablement " Fort " (parti) et " Da " (ici), en déduit lexistence dune compulsion de répétition qui donnera lieu à la notion de la Pulsion de Mort. Tout autant quune mise en scène de la répétions du plaisir-déplaisir, de la séparation et de la retrouvaille avec la bobine sensée représenter la mère, lon assiste à une invention de lenfant, dun acte de liberté face à une situation déplaisante. Création de lenfant pour maîtriser sa dépendance par rapport à la séparation ; expérience inaugurale de la maîtrise dune situation et déprise de sa dépendance. Moment jubilatoire quil va reproduire compulsivement. Car lenfant ne pleure pas tandis quil jette la bobine, il jubile. 2 - Le moment du stade du miroir, observé par Lacan. Quand lenfant se reconnaît dans le miroir, il rit à sa propre image. Saisie dune forme unifiante qui lui permettra une plus grande autonomie. Mais de quoi jubile lenfant si ce nest de son affranchissement, de son détachement de lautre, de lautonomie de sa forme et de la nouveauté de son expérience ? Lacan perçoit laffect de joie quil appelle assomption jubilatoire, sans se préoccuper plus particulièrement de laffect comme tel que cette expérience fondatrice provoque. 3 - La découverte de lobjet transitionnel et la création par lenfant de laire de jeu : Lors de certains moments difficiles telle quune séparation, ou une hospitalisation précoce, lorsquon donne à lenfant un objet appartenant à sa mère, il supporte mieux la séparation et se montre moins anxieux... Mais il -sagit là dun simple rappel de la mère et non dun vrai objet transitionnel. Lobjet transitionnel à proprement parler est une création de lenfant : il le trouve seul. Le moment de lappropriation est spontané et soudain si lentourage nest pas trop contaminé par la culture psychanalytique et laisse lenfant se débrouiller seul dans sa quête. Alors on assiste au plaisir dune découverte, comme on peut assister chaque soir à sa satisfaction retrouvée. Lobjet transitionnel est ainsi trouvé-créé, comme le dit Winnicott. Il en est ainsi de toute aire de jeu en général : objets ou territoires que lenfant trouve et crée ce quil a trouvé. La série jubilatoire sétaye sur les aptitudes propres à lenfant quil ne reçoit de personne dans sa poussée vers la liberté. À condition évidemment quil y soit parvenu grâce à un entourage suffisamment bon. Que la découverte et laffranchissement de la situation qui la précède soient spontanés et non une réponse à une attente de ladulte ne signifie pas quil puisse se passer de la présence aimante de ses personnes dattachement. La dépendance dans la cure, lattachement souvent massif du patient à lanalyste nest pas en soi une entrave à la poussée de liberté ; elle peut le devenir si lanalyste abuse du pouvoir que lui confère cette dépendance, en principe passagère. Elle peut au contraire représenter un territoire de confiance à partir duquel les affranchissements deviendront possibles si la relation à lanalyste reste fiable. Cela ne va pas de soi, certaines conditions sont indispensables et en premier lieu celle qui consiste à ne pas confondre le lien vivant entre deux personnes et lexigence dogmatique de la soumission à un dispositif inerte souvent mortifère qui exige des conduites répétitives. Le plaisir et la jubilation ne sont pas demblée langagiers, ils peuvent le devenir ultérieurement. Chaque découverte semble issue dune décision instantanée. Les deux séries ne donnent pas lieu dans le transfert aux mêmes comportements. Dabord et essentiellement parce que la série des castrations tient le haut du pavé dans les théories psychanalytiques, que le dispositif est souvent utilisé à des fins de castration et que la série jubilatoire nest jamais invoquée comme fondatrice dexpériences ultérieures. Exception faite pour Winnicott qui situe laire de jeu comme matrice de la créativité chez ladulte et comme possibilité thérapeutique.
La socialisation du petit dhomme se fait par lapprentissage, voire par lintrojection des contraintes imposées. Il est littéralement programmé pour intérioriser une série de frustrations et de pertes qui sont la condition même de son développement. Si ces frustrations sont nécessaires, elles nen sont pas moins taillées dans la même étoffe que toute exigence de soumission, même la plus injuste. Cest bien pourquoi le petit enfant ne fait pas la différence entre des exigences absurdes et celles qui lintroduisent dans un cycle de plus grande autonomie. Sans invoquer les fameux " stades " du développement sujets à discussion, il existe des étapes dans le parcours au devenir humain et adulte, chacune étant marquée par une séparation davec létape précédente. Ce nest pas tant le " stade "qui importe ici, mais les séparations inter et intra-pychiques qui sont la dynamique du développement. Chaque rupture de système comporte un passage par langoisse qui se résout en principe par un gain dautonomie.
La soumission sorigine dans la dépendance obligée du petit enfant par rapport à son entourage immédiat, plus particulièrement par rapport à ses personnes dattachement, la Mère et le Père, mais aussi par rapport à lentourage plus large. Il nest pas seulement dépendant des désirs de ces personnes, mais des discours auxquels ces personnes sont elles-mêmes soumises : ce qui du collectif sest invaginé en eux.
La série des séparations est traditionnellement appelée la série des castrations : orale, anale et symbolique.
Langoisse en est le pivot, affect-clé pour lanalyste : elle est à la fois inévitable dans ces ruptures de systèmes, passages dune étape à lautre de la maturation ; elle peut prendre par ailleurs valeur de signe lors des manifestations pathologiques. Langoisse nest donc pas un symptôme, mais un affect particulier, que Freud avait à juste titre appelé "équivalent général de tous les affects". Tout affect contrarié peut se transformer en angoisse. Elle est la boîte noire de nos affects.
Langoisse primordiale provoquée par la perte de lobjet damour, ou par la simple crainte de sa perte, est " spontanée " et non apprise, elle surgit dès les premiers mois de lenfant. La culpabilité et la honte sont en revanche des affects dapparition plus tardive. Ils nexistent que dans la mesure où il y a accès au jugement dautrui, aux valeurs langagières. Par rapport à eux langoisse est première.
Or la joie est tout aussi précoce que langoisse, elle est donc antérieure aux affects socialisés (honte et culpabilité). On oublie de sétonner que la joie soit rarement évoquée dans les ouvrages de psychanalyse.
Lenfant se soumet par dépendance inhérente à son état, puis pour obtenir lamour de ladulte. Lexigence de soumission et la demande damour vont donc de pair.
Cest dans le moule creusé par la dépendance des besoins que viendront se loger les aptitudes à la soumission.
Lacan avait proposé quatre concepts comme fondamentaux de la psychanalyse. À mon avis il convient dy ajouter un cinquième : laffect. Étrangement, Lacan lavait omis, pire encore, il lavait banni. Sans doute avait-il ses raisons. De là à dire quil avait raison ? Je répare lerreur !
Je vous propose donc de reconsidérer la psychanalyse avec, non plus quatre concepts fondamentaux, mais cinq : linconscient, le transfert, la pulsion, la répétition et laffect.
Laffect est au centre de tout affranchissement, de toute révolte, et de toute poussée de liberté. Je rappelle au passage que laffect est le représentant psychique de la pulsion, la force motrice de tout acte de désir.
Saffranchir dune soumission, implique la propulsion dune force du Moi et dun désir, un rapport au pathos et une actualisation possible de laffect.
Dans labord de cette aire, la trilogie freudienne " Inhibition-Symptôme-Angoisse " garde une pertinence encore actuelle. Elle peut engendrer dautres variantes utiles.
Lucien Mélèse avait déjà utilisé cette trilogie pour proposer une variation qui terme à terme donne pour les manifestations de crise en général et dépilepsie en particulier ceci : " Exhibition-Crise-Honte "3
À mon tour je propose celle-ci : " Soumission-Affranchissement-Jubilation ". Les trois points darticulation mettent en relation : 1 - les fonctions du Moi : inhibition-exhibition-soumission conduites patentes aux motifs inconscients, offertes à la sagacité de lanalyste. 2 les manifestations du Pathos: symptôme-crise-affranchissement en se rappelant que le pathos, ou le pathologique, est en rapport avec la passion et que la passion résulte du collectif qui contrarie la réalisation pulsionnelle brute. Quil sagisse de symptôme, de crise ou daffranchissement, cest le plus souvent une réponse à ce quune époque, cest-à-dire un certain type de discours ne supporte pas dentendre en clair, soit du fait dune censure morale soit du fait dune ignorance réelle. Symptôme, crise ou affranchissement sont donc ce qui fait signe du singulier au collectif. À ceci près que laffranchissement peut être signe pour le sujet seul, il peut revêtir un aspect de symptôme pour les autres, voire de crise.
3 - les actualisations de laffect : angoisse-honte-jubilation langoisse étant laffect par excellence dont soccupe la psychanalyse. La jubilation manifeste un dégagement opéré. La honte résulte du collectif comme instance.
Je ne prétends pas que tout affranchissement implique la joie, il arrive même que vouloir mourir se signifie par un " je me décommande ", mais on ne peut pas éviter de prendre en compte la jubilation que procure tout acte daffranchissement quelles quen soient ultérieurement les conséquences.
Ce qui est frappant dans la théorie de la psychanalyse cest la place exorbitante accordée à ce quon appelle la série des castrations, série de frustrations et de renoncements au détriment dautres processus constitutifs dans lévolution du petit dhomme. En dautres termes la série des séparations nécessaires, inter et intra-psychiques dans le développement de lenfant dont les avatars nous permettent effectivement de comprendre un grand nombre de manifestations de souffrances et de symptômes.
Il est moins évident dans ce contexte de comprendre sur quelles expériences précoces sétayent le désir et les capacités de lhomme à se révolter dune façon non pathologique, à vivre de temps en temps hors la soumission que lon dit " volontaire ", ainsi que son aptitude à être joyeux en dépit dune réalité qui ne ly encourage pas souvent.
Le plaisir dorgane, les satisfactions libidinales et narcissiques sont certes là pour nous éclairer sur ses possibilités de bonheur, mais il ma semblé que lon devait ajouter à cette quête le désir de liberté.
Le sentiment de liberté fait partie, pour certains plus que pour dautres, de ce bonheur. Plutôt que de menfermer dans les discussions sans fin sur laliénation, linexistence de la liberté en soi, ou de la liberté comme pur leurre, je voudrais simplement explorer certains moments psychiques où domine laffect de la joie, résultante dun affranchissement. Laffranchissement provoque une déchirure dans le temps social commun que la joie fait oublier de surcroît. Langoisse originellement liée à lattente, au contraire, pâtit du temps qui nen finit pas de ne pas passer. Que le cur saccélère dans un cas comme dans lautre est une piètre consolation...
Quelle ne fut donc pas ma joie de mapercevoir que face à la série des castrations, il était possible daligner une autre série, série de la jubilation, toute aussi fondatrice dans le développement de lenfant.
La série jubilatoire napparaît pas demblée parce quelle ne figure pas chez un même auteur, elle pointe en discontinu et ne devient lisible quaprès le repérage dune transversale faisant passerelle entre Freud, Winnicott et Lacan.
Elle nest ni éducative, ni adaptatrice, contrairement à celle des castrations ou des renoncements. Elle existe dans la théorie analytique mais na pas été isolée comme telle parce que chaque moment a été observé par un analyste différent, chacun ayant bâti tout un pan de sa théorie à partir dun moment daffranchissement jubilatoire observé chez lenfant.
Il est étonnant que trois grands analystes, trois cliniciens, trouvent des idées clés de leur théorie non pas en écoutant les patients en cure, mais en observant des petits enfants en direct. Observation hors tout dispositif produit par la psychanalyse qui, de par ses contraintes, impose le déjà-là, le déjà-pensé et empêche de ce fait dautres pensées dadvenir. Cela peut laisser songeur... En tout cas cela permet de redonner la place à limportance de lexpérience vécue comme lieu de naissance des idées théoriques pour la psychanalyse. Ces trois moments sont charnières, et dans le devenir de lenfant et dans la théorie analytique. Jen citerai trois, il en existe sans doute dautres.
1 - Le moment du Fort Da : Freud regardant son petit-fils jouer avec une bobine répétant inlassablement " Fort " (parti) et " Da " (ici), en déduit lexistence dune compulsion de répétition qui donnera lieu à la notion de la Pulsion de Mort. Tout autant quune mise en scène de la répétions du plaisir-déplaisir, de la séparation et de la retrouvaille avec la bobine sensée représenter la mère, lon assiste à une invention de lenfant, dun acte de liberté face à une situation déplaisante. Création de lenfant pour maîtriser sa dépendance par rapport à la séparation ; expérience inaugurale de la maîtrise dune situation et déprise de sa dépendance. Moment jubilatoire quil va reproduire compulsivement. Car lenfant ne pleure pas tandis quil jette la bobine, il jubile.
2 - Le moment du stade du miroir, observé par Lacan. Quand lenfant se reconnaît dans le miroir, il rit à sa propre image. Saisie dune forme unifiante qui lui permettra une plus grande autonomie. Mais de quoi jubile lenfant si ce nest de son affranchissement, de son détachement de lautre, de lautonomie de sa forme et de la nouveauté de son expérience ? Lacan perçoit laffect de joie quil appelle assomption jubilatoire, sans se préoccuper plus particulièrement de laffect comme tel que cette expérience fondatrice provoque.
3 - La découverte de lobjet transitionnel et la création par lenfant de laire de jeu : Lors de certains moments difficiles telle quune séparation, ou une hospitalisation précoce, lorsquon donne à lenfant un objet appartenant à sa mère, il supporte mieux la séparation et se montre moins anxieux... Mais il -sagit là dun simple rappel de la mère et non dun vrai objet transitionnel. Lobjet transitionnel à proprement parler est une création de lenfant : il le trouve seul. Le moment de lappropriation est spontané et soudain si lentourage nest pas trop contaminé par la culture psychanalytique et laisse lenfant se débrouiller seul dans sa quête. Alors on assiste au plaisir dune découverte, comme on peut assister chaque soir à sa satisfaction retrouvée. Lobjet transitionnel est ainsi trouvé-créé, comme le dit Winnicott.
Il en est ainsi de toute aire de jeu en général : objets ou territoires que lenfant trouve et crée ce quil a trouvé.
La série jubilatoire sétaye sur les aptitudes propres à lenfant quil ne reçoit de personne dans sa poussée vers la liberté. À condition évidemment quil y soit parvenu grâce à un entourage suffisamment bon. Que la découverte et laffranchissement de la situation qui la précède soient spontanés et non une réponse à une attente de ladulte ne signifie pas quil puisse se passer de la présence aimante de ses personnes dattachement.
La dépendance dans la cure, lattachement souvent massif du patient à lanalyste nest pas en soi une entrave à la poussée de liberté ; elle peut le devenir si lanalyste abuse du pouvoir que lui confère cette dépendance, en principe passagère. Elle peut au contraire représenter un territoire de confiance à partir duquel les affranchissements deviendront possibles si la relation à lanalyste reste fiable. Cela ne va pas de soi, certaines conditions sont indispensables et en premier lieu celle qui consiste à ne pas confondre le lien vivant entre deux personnes et lexigence dogmatique de la soumission à un dispositif inerte souvent mortifère qui exige des conduites répétitives.
Le plaisir et la jubilation ne sont pas demblée langagiers, ils peuvent le devenir ultérieurement. Chaque découverte semble issue dune décision instantanée.
Les deux séries ne donnent pas lieu dans le transfert aux mêmes comportements. Dabord et essentiellement parce que la série des castrations tient le haut du pavé dans les théories psychanalytiques, que le dispositif est souvent utilisé à des fins de castration et que la série jubilatoire nest jamais invoquée comme fondatrice dexpériences ultérieures. Exception faite pour Winnicott qui situe laire de jeu comme matrice de la créativité chez ladulte et comme possibilité thérapeutique.
" Jouer doit être une activité spontanée, et non lexpression dune soumission ou dun acquiescement, sil doit y avoir psychothérapie. " Winnicott précise : " le jeu est un faire ".
Cest un faire qui nest pas un faire pour lautre. Mais le moment psychique est ce qui autorise ce faire et rend possible la création dun nouvel espace-temps subjectif. La problématique de la perte est au centre de la réflexion des analystes, et si un gain dautonomie en est le résultat, cette autonomie va dans le sens de lattente des adultes, dans le sens de la " civilisation ". Le sentiment de liberté, sans même parler de jubilation, nest pas une conséquence naturelle de cette perte. Bien dautres activités suscitent des manifestations de joie chez lenfant : lacquisition de la station debout, les premiers pas, la profération des premiers mots et même lénergie quil déploie pour arracher la cuillère afin de la porter à la bouche sans laide de personne. Toutes relèvent des apprentissages où lenfant répond à lencouragement et à lattente des adultes, même quand il est très entreprenant et en éprouve pour son compte la satisfaction de sa performance. Les moments de la série jubilatoire appartiennent à un autre registre, ils sont issus dun moment psychique spécifique et sont comparables en cela au rêve qui est un pur événement psychique. On peut faire lhypothèse que la série jubilatoire constitue le premier socle sur lequel viendront sétayer les tentatives ultérieures daffranchissement de ladulte, tout autant que ses révoltes qui nont pas systématiquement la haine comme seul moteur. Le moment daffranchissement a lieu sur fond du silence des discours. Alors le " je " se décommande de leur emprise et de leur cohérence obligée. La possibilité daffranchissement nécessite une rupture de cette cohésion, rupture de système, et lévanouissement de lemprise discursive sur le sujet qui se trouve seul en prise avec ses poussées internes. " ...Freiheitsdrang... ". Expérience dun temps radicalement différent du temps du récit, du temps soumis à lordre séquentiel dune logique, fut-elle la plus rudimentaire. Expérience rare pour beaucoup, plus fréquente pour les déjantés de la grande santé et soigneusement refoulée par les tenants de lordre établi. En analyse, la vraie association libre, expérience rare faut-il le rappeler, y donne parfois accès. Winnicott cependant insistait sur sa spécificité :
Cest un faire qui nest pas un faire pour lautre. Mais le moment psychique est ce qui autorise ce faire et rend possible la création dun nouvel espace-temps subjectif.
La problématique de la perte est au centre de la réflexion des analystes, et si un gain dautonomie en est le résultat, cette autonomie va dans le sens de lattente des adultes, dans le sens de la " civilisation ". Le sentiment de liberté, sans même parler de jubilation, nest pas une conséquence naturelle de cette perte.
Bien dautres activités suscitent des manifestations de joie chez lenfant : lacquisition de la station debout, les premiers pas, la profération des premiers mots et même lénergie quil déploie pour arracher la cuillère afin de la porter à la bouche sans laide de personne. Toutes relèvent des apprentissages où lenfant répond à lencouragement et à lattente des adultes, même quand il est très entreprenant et en éprouve pour son compte la satisfaction de sa performance.
Les moments de la série jubilatoire appartiennent à un autre registre, ils sont issus dun moment psychique spécifique et sont comparables en cela au rêve qui est un pur événement psychique.
On peut faire lhypothèse que la série jubilatoire constitue le premier socle sur lequel viendront sétayer les tentatives ultérieures daffranchissement de ladulte, tout autant que ses révoltes qui nont pas systématiquement la haine comme seul moteur.
Le moment daffranchissement a lieu sur fond du silence des discours.
Alors le " je " se décommande de leur emprise et de leur cohérence obligée.
La possibilité daffranchissement nécessite une rupture de cette cohésion, rupture de système, et lévanouissement de lemprise discursive sur le sujet qui se trouve seul en prise avec ses poussées internes. " ...Freiheitsdrang... ".
Expérience dun temps radicalement différent du temps du récit, du temps soumis à lordre séquentiel dune logique, fut-elle la plus rudimentaire.
Expérience rare pour beaucoup, plus fréquente pour les déjantés de la grande santé et soigneusement refoulée par les tenants de lordre établi.
En analyse, la vraie association libre, expérience rare faut-il le rappeler, y donne parfois accès. Winnicott cependant insistait sur sa spécificité :
" Lassociation libre qui révèle un thème cohérent est déjà affectée par langoisse, et la cohésion des idées est une organisation défensive ".4
La cohésion est toujours défensive bien que nul ne puisse sen passer complètement dans lordinaire des jours et lusage de sa raison. Cette expérience temporelle est très différente de ce que javais appelé ailleurs le " temps arrêté " dans le vécu des névroses traumatiques où la vie entière se déroule sur fond dune même scène traumatique, cadre qui confère toujours le même sens aux événements. Si laffranchissement est hors récit, expérience du temps non chronologique, il nest pas hors affect. Jouons encore à parler freudien : Lors du moment de laffranchissement, le " je " se décommande, le Moi na plus dinstance à laquelle ajuster comme il peut les poussées du Ça. En somme ce qui permettrait à ladulte de saffranchir dune situation, ce serait lexpérience déjà vécue ayant laissé une trace mnésique qui peut faire appel à une répétition, non plus néfaste mais bénéfique : souvenir inconscient des moments jubilatoires fondateurs. En loccurrence le Moi se décommande de lemprise du Surmoi et devient plus perméable aux poussées du Ça et aux résonances du réel. Alors que lexigence freudienne enjoint au travail de lanalyste dans son uvre civilisatrice de tendre à ce que, selon la formule consacrée, " Là où était le Ça advienne le Moi "", (ou le " je " selon Lacan), lors du moment de laffranchissement on assisterait à son inverse. Moment après lequel il y aurait, soit retour possible de la culpabilité, " Quai-je fait ? Que mest-il arrivé ? " soit arrimage à dautres discours, dautres situations, dautres cohérences. Certes, à la longue ces nouveaux arrimages engendreront aussi des effets de soumission car il ny a pas dadhésion à un discours sans Surmoi, sans renoncements. Cela sappelle Principe de Réalité et usage de la raison. Le moment daffranchissement na pas dancrage immédiat dans la réalité, il est affaire de réel. Or la réalité voile le réel. Cet éphémère arrachement de la réalité connue est une expérience hors norme qui situe le sujet au-delà du Bien et du Mal. Comme tout cela est pris dans la vitesse, tout cela est promis à loubli, quand bien même on irait jusquà létonnement. Doù mon insistance. On conçoit combien ces moments peuvent être proches dun début de Manie et combien grande peut être la tentation de les y réduire, car ils ont en commun leuphorie que procure au sujet sa propre puissance. Cela peut effectivement tourner à la Manie lorsque sy ajoute la croyance dans sa toute puissance à légard de la réalité. Mais avant tout ce moment est proche de lespace-temps du rêve. Dans le rêve aussi il y a silence des discours. Ce qui nimplique pas absence de sens. Le temps du rêve est le temps de laccompli, cest un présent qui sétire. À ceci près que le moment de laffranchissement ignore jusquaux contraintes quimpriment au rêve ses propres fantasmagories. La jubilation ressentie est une jouissance sans objet. Tout comme on peut dire quil y a angoisse sans objet - même si à lorigine sa perte est précisément cause de langoisse - de même la jubilation peut se dire sans objet car on ne jouit pas tant dun surcroît de pouvoir sur un objet particulier. On jouit de ne plus être soi-même objet demprise de lAutre, LAutre de tous les discours. Pour revenir encore à lenfant des premières expériences jubilatoires, LAutre à lorigine est évidemment le plus souvent la mère, ou tout partenaire privilégié de lenfant petit, à la fois porteur de désirs et médiateur des contraintes collectives. Cet instant se caractérise de nêtre que la perte de la crainte de la perte. Interruption de léternelle attente. Sortie brève des temps chronologiques du conscient, du temps des autres. Ouverture vers un temps qui est pure présence qui transite. Temps qui passe dans les battements du cur, dans le flux du sang qui coule dans les veines et les artères. Jouissance de la Puissance de la vie nue... produisant aussi bien la jubilation que de leffroi. Travail à appareil psychique ouvert où sobservent et se vivent en analyse les transferts symbiotiques ou psychotiques. Affaire de présence. La parole suit, comme lintendance : nécessaire et contingente. Donner tout son poids à ces moments psychiques dans lanalyse demande de sabstenir de toute imputation de " contenu " à linconscient. Les contenus de linconscient dont nous parlons sont en fait nos constructions imaginaires et théoriques. Nous lui imputons nos hypothèses dont nous vérifions à la sortie le bien-fondé. Les contenus de linconscient font partie du discours de la psychanalyse qui, à linstar de tout discours, même celui qui prône la plus grande liberté, demande soumission. Je pense que la série de la jubilation a donné lieu dans la théorie, bien plus que la série des castrations, à ce que Deleuze et Guattari avaient appelé des personnages conceptuels : comme lIdiot ou Bartelby, lEnfant du Fort-Da, lEnfant du Miroir, lEnfant de lobjet transitionnel sont des personnages conceptuels dans la psychanalyse. Figures de lenfant de la jubilation. La psychanalyse gagnerait en richesse, et le psychanalyste en liberté de pensée, à considérer tout autant le petit Oedipe amoureux de sa maman et jaloux de son père ou le Nourrisson Savant de Ferenczi comme des personnages conceptuels. Arrachés à leur empaquetage théorique dorigine, ce changement de statut éviterait les sempiternelles questions sur leur valeur scientifique ou leur universalité, sans perdre pour autant leur efficacité descriptive ni leur densité métaphorique lorsque le recours à ces fictions savère utile. Si jinsiste sur lopposition de la série jubilatoire comme endogène à lenfant face à la série des castrations plus adaptatrice à la société et exogène à la poussée de liberté, ce nest pas pour annuler lune au profit de lautre. Pas plus quil ne convient de les utiliser pour tomber dans le panneau de lopposition de linné et de lacquis. Les deux sont nécessaires à la maturation de lenfant. Mais il savère que lessentiel du dispositif de la cure et des prescriptions enjointes à la conduite de lanalyse promeut la castration et les frustrations au détriment de toute autre modalité. Ce qui et un peu court quand ce nest pas franchement catastrophique. Pour bien profiter de telles analyses, il vaut mieux jouir dentrée de jeu dune santé robuste. Autant dire que lanalyse vient alors de surcroît ! Si les moments daffranchissement où lon peut se décommander ne sont pas pris en compte dans la cure comme événements psychiques à part entière, retour aux compétences premières de lhumain, si le psychanalyste ne reconnaît pas ses propres aptitudes à la trouvaille singulière, alors quel que soit le nouveau discours adopté, il ne sera quun remplacement à lidentique de lancien. Ainsi on a pu voir certains troquer à lidentique leur soumission au discours maoïste pour celui de la psychanalyse, lacanienne de préférence. Louverture vers le nouveau, la trouvaille précieuse, sera étouffée au profit immédiat du travail et des assignations discursives du vrai et du faux quand ce ne sera du bien et du mal. Car on trouve pour soi, on travaille pour lAutre. Quand il y a jubilation, laffranchissement est un non à toutes les instances où le oui à linstance de rechange reste pour un temps au vestiaire. La joie vient de là. Lexpérience intime de liberté aussi. Le recouvrement par une signification trop tôt venue risque la chute dépressive, comme dun devoir asséné à la place dun sourire. Dans ce temps éphémère le oui et le non se confondent sans que pour autant le sujet soit ambivalent. Ce non nest pas celui dont parle Freud, bien quils aient des traits communs : ce nest pas un non à un objet, qui de ce fait deviendrait mauvais, mais jouissance dune expérience qui abrite la vie nue. Celle dont en principe dispose le tyran, qui a droit de vie et de mort. Or chaque discours tend vers sa tyrannie. Sagissant dadultes en analyse, empêtrés de savoirs, cest à lanalyste de devenir joueur à son tour, à lui de trouver par mille et une ruses les potentiels non ordinaires dont dispose chaque patient. Ces potentiels peuvent être activés par la rencontre et lensemble chaque fois insolite quils forment, le patient et lanalyste. Potentiels non ordinaires en tant quétrangers à ce quexige lordinaire de léducation de la théorie analytique en place, éducative malgré elle par le simple fait dexister déjà. Difficile entreprise quand on reçoit des analysants soumis davance à lidéologie analytique, simposant à eux-mêmes comme allant de soi linfortune de toute velléité novatrice face au rituel imposé. Si lon sinsurge contre le dogme en analyse, ce nest pas tant quil préconise des concepts faux, cest parce quen tant que discours il promeut la tyrannie. Plus une théorie est forte et cohérente, plus elle suscite une adhésion sans réserve, plus elle a tendance à devenir totalitaire au sein même de la cure. La justesse des concepts nest pas en cause, ce qui est en cause cest que dans notre pratique le discours théorique régente les modalités des liens, allant juquà faire oublier quil sagit dabord de deux humains, avant dêtre lien entre analysant et analyste. Elle produit des énoncés qui semparent des manières dêtre les uns avec les autres, des corps en présence et du temps de la vie. Le dispositif de lanalyse sert le plus souvent le confort de lanalyste sans rapport nécessaire avec labord de linconscient ou un souci thérapeutique. Une technique peut ainsi devenir un mode de vie au nom de la pertinence des concepts. Même les sciences les plus dures nont pas de telles exigences ! Elles sont en revanche le propre des religions et des partis politiques. Pour revenir aux moments jubilatoires comme socle dexpériences novatrices ultérieures, leur recours nest pas évident pour autant. Le premier pas consiste à leur accorder au moins valeur dexistence. Reste à se demander comment se mémorise une jouissance sans objet et une expérience hors discours. Comme hypothèse de réponse, on pourrait imaginer quil y a mémorisation du lien entre un affect et un pathos déjà vécus aux prises avec une fonction du Moi. Inhibition-Symptôme-Angoisse versus Soumission-Affranchissement-Jubilation. Sachant que la mémoire retient prioritairement les événements chargés daffect, sachant aussi que les affects désagréables mobilisent davantage la psyché que les affects agréables, je suggère que les analystes soient dautant plus attentifs à ce qui pourrait venir affleurer en séance de ces moments délicieux et fugaces. Où le rire et la joie seraient nos meilleurs réactifs. Où la liberté du patient, même quand il se décommande de nos croyances les plus chères, nest pas à verser immanquablement au registre des résistances. Quand faire se peut. Nulle crainte pour les esprits chagrins - toujours les mêmes, dun article à lautre ! - que lon aille de ce fait confondre les refus systématiques, les explosions agressives avec cette poussée de liberté ou dinsoumission qui nexiste quà létat dinstantané car il sagit dun moment psychique et non de conduites structurées. Pour durer, chaque expérience recourt par nécessité au langage et tend à devenir mémoire discursive. Mais alors elle nest plus cette brèche dans les nouages imaginaires, aller-retour direct entre le réel de la psyché et le réel du Monde. Car ce que lon continue de voir et dentendre en son sein, sans ordre préétabli, ce sont les sons et images du dedans, et les images- sons du dehors, un dehors non ordonné, ni prédécoupé par le social : quest-ce donc sinon le cosmos lui-même, le monde ouvert ? Si cela ne peut se concevoir que comme pur instant, pur moment psychique, à partir du silence des discours, cest que le temps de lhomme et ses perceptions ne sont pas à la mesure du Monde ouvert. Hormis nos limites physiologiques, seul le social et la soumission aux cohérences des discours nous évitent la confrontation directe avec la cruauté et limmensité de lUnivers. Prix de la " normalité " ? Quelques grands fous sy sont aventurés... Ils n'en sont pas revenus. Et les artistes, les très grands, avec des instruments exquis quils fourbissent dans une discipline de fer. Sans être fous, ils font incursion dans ces vastitudes non ordonnées du cosmos et nous ramènent des bouquets de réel, en sons, en couleurs, en formes, en mots étrangement entrelacés. Et cela nous soigne plus que tout discours de nos soumissions inévitables et ordinaires. On ne dira jamais assez que seul lart est une vraie médecine. Lhomme semble fasciné par linterrogation du réel, et la science lui fabrique des nacelles pour aller à sa pêche avec lidée grandiose den devenir le maître. Sans aller jusque-là, lappareil psychique de lhomme ordinaire peut aussi souvrir parfois quand fait retour lenfant de la jubilation. Alors pour quelques instants éphémères, nous devenons des voyants saisis deffroi ou encore télépathes éblouis, ne sachant que faire de lirruption du réel dans nos savoirs éternellement immatures. Mais pas de panique : les discours sont là pour vite nous cueillir, nous faire oublier, nous protéger et nous soumettre à nouveau. Cependant si la vie se réinvente avec tant dobstination au-delà de tant de désastres, cest que léphémère de nos instants jubilatoires laisse des traces vives, et cest sans doute pour cela que lespoir nest pas une pure folie. Radmila Zygouris Paris, novembre 1998 radmila.zygouris@wanadoo.fr notes: 1 Exposé fait au cours des Journées de la Fédération des Ateliers de Psychanalyse autour du thème : "La Soumission". 2 Malaise dans la Civilisation, S. Freud p. 45, éd. PUF 3 Bloc-notes de la Psychanalyse n° 15, p.84 4 Jeu et Réalité, D.W. Winnicott, p. 72 [ retour sommaire de la revu.e ]
La cohésion est toujours défensive bien que nul ne puisse sen passer complètement dans lordinaire des jours et lusage de sa raison.
Cette expérience temporelle est très différente de ce que javais appelé ailleurs le " temps arrêté " dans le vécu des névroses traumatiques où la vie entière se déroule sur fond dune même scène traumatique, cadre qui confère toujours le même sens aux événements.
Si laffranchissement est hors récit, expérience du temps non chronologique, il nest pas hors affect.
Jouons encore à parler freudien :
Lors du moment de laffranchissement, le " je " se décommande, le Moi na plus dinstance à laquelle ajuster comme il peut les poussées du Ça. En somme ce qui permettrait à ladulte de saffranchir dune situation, ce serait lexpérience déjà vécue ayant laissé une trace mnésique qui peut faire appel à une répétition, non plus néfaste mais bénéfique : souvenir inconscient des moments jubilatoires fondateurs.
En loccurrence le Moi se décommande de lemprise du Surmoi et devient plus perméable aux poussées du Ça et aux résonances du réel. Alors que lexigence freudienne enjoint au travail de lanalyste dans son uvre civilisatrice de tendre à ce que, selon la formule consacrée, " Là où était le Ça advienne le Moi "", (ou le " je " selon Lacan), lors du moment de laffranchissement on assisterait à son inverse.
Moment après lequel il y aurait, soit retour possible de la culpabilité, " Quai-je fait ? Que mest-il arrivé ? " soit arrimage à dautres discours, dautres situations, dautres cohérences. Certes, à la longue ces nouveaux arrimages engendreront aussi des effets de soumission car il ny a pas dadhésion à un discours sans Surmoi, sans renoncements. Cela sappelle Principe de Réalité et usage de la raison. Le moment daffranchissement na pas dancrage immédiat dans la réalité, il est affaire de réel. Or la réalité voile le réel. Cet éphémère arrachement de la réalité connue est une expérience hors norme qui situe le sujet au-delà du Bien et du Mal. Comme tout cela est pris dans la vitesse, tout cela est promis à loubli, quand bien même on irait jusquà létonnement. Doù mon insistance.
On conçoit combien ces moments peuvent être proches dun début de Manie et combien grande peut être la tentation de les y réduire, car ils ont en commun leuphorie que procure au sujet sa propre puissance. Cela peut effectivement tourner à la Manie lorsque sy ajoute la croyance dans sa toute puissance à légard de la réalité.
Mais avant tout ce moment est proche de lespace-temps du rêve. Dans le rêve aussi il y a silence des discours. Ce qui nimplique pas absence de sens. Le temps du rêve est le temps de laccompli, cest un présent qui sétire. À ceci près que le moment de laffranchissement ignore jusquaux contraintes quimpriment au rêve ses propres fantasmagories.
La jubilation ressentie est une jouissance sans objet. Tout comme on peut dire quil y a angoisse sans objet - même si à lorigine sa perte est précisément cause de langoisse - de même la jubilation peut se dire sans objet car on ne jouit pas tant dun surcroît de pouvoir sur un objet particulier. On jouit de ne plus être soi-même objet demprise de lAutre, LAutre de tous les discours. Pour revenir encore à lenfant des premières expériences jubilatoires, LAutre à lorigine est évidemment le plus souvent la mère, ou tout partenaire privilégié de lenfant petit, à la fois porteur de désirs et médiateur des contraintes collectives.
Cet instant se caractérise de nêtre que la perte de la crainte de la perte. Interruption de léternelle attente.
Sortie brève des temps chronologiques du conscient, du temps des autres. Ouverture vers un temps qui est pure présence qui transite. Temps qui passe dans les battements du cur, dans le flux du sang qui coule dans les veines et les artères.
Jouissance de la Puissance de la vie nue... produisant aussi bien la jubilation que de leffroi.
Travail à appareil psychique ouvert où sobservent et se vivent en analyse les transferts symbiotiques ou psychotiques.
Affaire de présence. La parole suit, comme lintendance : nécessaire et contingente.
Donner tout son poids à ces moments psychiques dans lanalyse demande de sabstenir de toute imputation de " contenu " à linconscient. Les contenus de linconscient dont nous parlons sont en fait nos constructions imaginaires et théoriques. Nous lui imputons nos hypothèses dont nous vérifions à la sortie le bien-fondé. Les contenus de linconscient font partie du discours de la psychanalyse qui, à linstar de tout discours, même celui qui prône la plus grande liberté, demande soumission.
Je pense que la série de la jubilation a donné lieu dans la théorie, bien plus que la série des castrations, à ce que Deleuze et Guattari avaient appelé des personnages conceptuels : comme lIdiot ou Bartelby, lEnfant du Fort-Da, lEnfant du Miroir, lEnfant de lobjet transitionnel sont des personnages conceptuels dans la psychanalyse. Figures de lenfant de la jubilation.
La psychanalyse gagnerait en richesse, et le psychanalyste en liberté de pensée, à considérer tout autant le petit Oedipe amoureux de sa maman et jaloux de son père ou le Nourrisson Savant de Ferenczi comme des personnages conceptuels. Arrachés à leur empaquetage théorique dorigine, ce changement de statut éviterait les sempiternelles questions sur leur valeur scientifique ou leur universalité, sans perdre pour autant leur efficacité descriptive ni leur densité métaphorique lorsque le recours à ces fictions savère utile.
Si jinsiste sur lopposition de la série jubilatoire comme endogène à lenfant face à la série des castrations plus adaptatrice à la société et exogène à la poussée de liberté, ce nest pas pour annuler lune au profit de lautre. Pas plus quil ne convient de les utiliser pour tomber dans le panneau de lopposition de linné et de lacquis. Les deux sont nécessaires à la maturation de lenfant. Mais il savère que lessentiel du dispositif de la cure et des prescriptions enjointes à la conduite de lanalyse promeut la castration et les frustrations au détriment de toute autre modalité. Ce qui et un peu court quand ce nest pas franchement catastrophique. Pour bien profiter de telles analyses, il vaut mieux jouir dentrée de jeu dune santé robuste. Autant dire que lanalyse vient alors de surcroît !
Si les moments daffranchissement où lon peut se décommander ne sont pas pris en compte dans la cure comme événements psychiques à part entière, retour aux compétences premières de lhumain, si le psychanalyste ne reconnaît pas ses propres aptitudes à la trouvaille singulière, alors quel que soit le nouveau discours adopté, il ne sera quun remplacement à lidentique de lancien. Ainsi on a pu voir certains troquer à lidentique leur soumission au discours maoïste pour celui de la psychanalyse, lacanienne de préférence. Louverture vers le nouveau, la trouvaille précieuse, sera étouffée au profit immédiat du travail et des assignations discursives du vrai et du faux quand ce ne sera du bien et du mal. Car on trouve pour soi, on travaille pour lAutre. Quand il y a jubilation, laffranchissement est un non à toutes les instances où le oui à linstance de rechange reste pour un temps au vestiaire. La joie vient de là. Lexpérience intime de liberté aussi. Le recouvrement par une signification trop tôt venue risque la chute dépressive, comme dun devoir asséné à la place dun sourire.
Dans ce temps éphémère le oui et le non se confondent sans que pour autant le sujet soit ambivalent. Ce non nest pas celui dont parle Freud, bien quils aient des traits communs : ce nest pas un non à un objet, qui de ce fait deviendrait mauvais, mais jouissance dune expérience qui abrite la vie nue. Celle dont en principe dispose le tyran, qui a droit de vie et de mort. Or chaque discours tend vers sa tyrannie.
Sagissant dadultes en analyse, empêtrés de savoirs, cest à lanalyste de devenir joueur à son tour, à lui de trouver par mille et une ruses les potentiels non ordinaires dont dispose chaque patient. Ces potentiels peuvent être activés par la rencontre et lensemble chaque fois insolite quils forment, le patient et lanalyste. Potentiels non ordinaires en tant quétrangers à ce quexige lordinaire de léducation de la théorie analytique en place, éducative malgré elle par le simple fait dexister déjà. Difficile entreprise quand on reçoit des analysants soumis davance à lidéologie analytique, simposant à eux-mêmes comme allant de soi linfortune de toute velléité novatrice face au rituel imposé.
Si lon sinsurge contre le dogme en analyse, ce nest pas tant quil préconise des concepts faux, cest parce quen tant que discours il promeut la tyrannie. Plus une théorie est forte et cohérente, plus elle suscite une adhésion sans réserve, plus elle a tendance à devenir totalitaire au sein même de la cure. La justesse des concepts nest pas en cause, ce qui est en cause cest que dans notre pratique le discours théorique régente les modalités des liens, allant juquà faire oublier quil sagit dabord de deux humains, avant dêtre lien entre analysant et analyste. Elle produit des énoncés qui semparent des manières dêtre les uns avec les autres, des corps en présence et du temps de la vie. Le dispositif de lanalyse sert le plus souvent le confort de lanalyste sans rapport nécessaire avec labord de linconscient ou un souci thérapeutique. Une technique peut ainsi devenir un mode de vie au nom de la pertinence des concepts. Même les sciences les plus dures nont pas de telles exigences ! Elles sont en revanche le propre des religions et des partis politiques.
Pour revenir aux moments jubilatoires comme socle dexpériences novatrices ultérieures, leur recours nest pas évident pour autant. Le premier pas consiste à leur accorder au moins valeur dexistence.
Reste à se demander comment se mémorise une jouissance sans objet et une expérience hors discours. Comme hypothèse de réponse, on pourrait imaginer quil y a mémorisation du lien entre un affect et un pathos déjà vécus aux prises avec une fonction du Moi. Inhibition-Symptôme-Angoisse versus Soumission-Affranchissement-Jubilation.
Sachant que la mémoire retient prioritairement les événements chargés daffect, sachant aussi que les affects désagréables mobilisent davantage la psyché que les affects agréables, je suggère que les analystes soient dautant plus attentifs à ce qui pourrait venir affleurer en séance de ces moments délicieux et fugaces. Où le rire et la joie seraient nos meilleurs réactifs. Où la liberté du patient, même quand il se décommande de nos croyances les plus chères, nest pas à verser immanquablement au registre des résistances. Quand faire se peut.
Nulle crainte pour les esprits chagrins - toujours les mêmes, dun article à lautre ! - que lon aille de ce fait confondre les refus systématiques, les explosions agressives avec cette poussée de liberté ou dinsoumission qui nexiste quà létat dinstantané car il sagit dun moment psychique et non de conduites structurées. Pour durer, chaque expérience recourt par nécessité au langage et tend à devenir mémoire discursive. Mais alors elle nest plus cette brèche dans les nouages imaginaires, aller-retour direct entre le réel de la psyché et le réel du Monde. Car ce que lon continue de voir et dentendre en son sein, sans ordre préétabli, ce sont les sons et images du dedans, et les images- sons du dehors, un dehors non ordonné, ni prédécoupé par le social : quest-ce donc sinon le cosmos lui-même, le monde ouvert ? Si cela ne peut se concevoir que comme pur instant, pur moment psychique, à partir du silence des discours, cest que le temps de lhomme et ses perceptions ne sont pas à la mesure du Monde ouvert. Hormis nos limites physiologiques, seul le social et la soumission aux cohérences des discours nous évitent la confrontation directe avec la cruauté et limmensité de lUnivers. Prix de la " normalité " ?
Quelques grands fous sy sont aventurés... Ils n'en sont pas revenus. Et les artistes, les très grands, avec des instruments exquis quils fourbissent dans une discipline de fer. Sans être fous, ils font incursion dans ces vastitudes non ordonnées du cosmos et nous ramènent des bouquets de réel, en sons, en couleurs, en formes, en mots étrangement entrelacés. Et cela nous soigne plus que tout discours de nos soumissions inévitables et ordinaires. On ne dira jamais assez que seul lart est une vraie médecine. Lhomme semble fasciné par linterrogation du réel, et la science lui fabrique des nacelles pour aller à sa pêche avec lidée grandiose den devenir le maître.
Sans aller jusque-là, lappareil psychique de lhomme ordinaire peut aussi souvrir parfois quand fait retour lenfant de la jubilation. Alors pour quelques instants éphémères, nous devenons des voyants saisis deffroi ou encore télépathes éblouis, ne sachant que faire de lirruption du réel dans nos savoirs éternellement immatures.
Mais pas de panique : les discours sont là pour vite nous cueillir, nous faire oublier, nous protéger et nous soumettre à nouveau. Cependant si la vie se réinvente avec tant dobstination au-delà de tant de désastres, cest que léphémère de nos instants jubilatoires laisse des traces vives, et cest sans doute pour cela que lespoir nest pas une pure folie.
Radmila Zygouris Paris, novembre 1998 radmila.zygouris@wanadoo.fr
notes:
1 Exposé fait au cours des Journées de la Fédération des Ateliers de Psychanalyse autour du thème : "La Soumission". 2 Malaise dans la Civilisation, S. Freud p. 45, éd. PUF 3 Bloc-notes de la Psychanalyse n° 15, p.84 4 Jeu et Réalité, D.W. Winnicott, p. 72
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