Sens et conditions du sens : Philippe Réfabert a mis en lumière
dans la trouvaille de cette formulation claire, une distinction
précieuse dans le champ de notre pratique et qui révèle,
découvre que le Sens n'est composable par l'humain
que dans certaines conditions : le sens de toute chose du monde
et de son "être au monde" qui lui arrive ne peut
advenir à un certain sens, propre à lui, qu'il
crée et qui lui convient avec son entourage (humanisation),
que pour autant que les conditions en soient pour lui réunies.
Dans le chapitre de l'ouvrage "Jeu et réalité"
, intitulé "L'utilisation de l'objet et le mode
de relation à l'objet au travers des identifications",
Winnicott rend explicite la genèse de cette possibilité
pour le petit humain.
Il pose la nécessité d'un environnement matriciel
(pour lui maternel) facilitant, suffisamment bon et suffisamment
"retenu", un amour qui admette sans représailles
la destructivité de l'enfant (inconditionnalité),
de telle sorte qu'un fantasme originaire (agencement paradoxal
de la pensée) puisse être la source inconsciente
du potentiel créatif dont il aura besoin tout au long
de son existence.
La clinique démontre qu'il serait
naïf de penser que dès lors que ce fantasme se serait
mis en place, l'existence en deviendrait un "champ fleuri
tout du long" et que rien ne pourrait en compromettre
la mise en uvre (tout serait "joué" avant
six mois). En effet, au contraire, chaque moment critique (choix
crucial pour sa vie) requiert, pour l'humain, que soient réunies
à nouveaux ces conditions dans une relation avec un tiers
capable d'en répondre et que soient ainsi mobilisé,
suscité (surrection ou re-surrection) ce fantasme
ou cet agencement paradoxal imaginaire et dont dépend
la vie (psyché-soma) créative de chacun.
Comprenons que si, dans ces moments fondamentaux,
l'humain ne rencontre qu'ignorance et incompréhension,
son besoin sera retourné contre lui de façon douloureuse,
"meurtrissante" voire meurtrière, selon les
enjeux, les degrés et/ou la forme d'ignorance (passive,
voire activement et délibérément destructrice).
C'est ce que, de façon quelque peu dépouillée,
nous entendons par traumatisme.
Nous rejoignons ainsi Ferenczi . Dans
le premier cas, l'"introjection" pourra s'accomplir
et le moi, souple, pourra souffrir sa métamorphose dans
des conditions favorables et effectuer ses nouvelles puissances
créatives ainsi libérées (fugue réussie).
Dans le second cas, le traumatisme viendra
s'ajouter, s'agglomérer aux autres antérieurs,
composant, par "incorporation" de l'objet ignorant,
une réactivité clivée composée comme
Gilles Deleuze nous l'a si bien explicité, reprenant la
pensée de Nietzsche, d'un "idéal ascétique"
(ordre moral supérieur à la vie : transcendant)
auprès duquel le Moi ne pourra se positionner que dans
la faute, sous les formes alternées ou figées de
la mauvaise conscience et/ou du ressentiment (fugue détournée).
C'est ainsi que s'introduisent pour moi
les contrepoints (paradoxes) de "l'art de la fugue"
que forment pour nous psychanalystes les avancées de l'antipsychiatrie
française de Gilles Deleuze et Félix Guattari.
Mon propos s'avancera dans ces contrepoints en cherchant à
enrichir notre pensée de psychanalyste en y associant
tous ceux qui s'efforcent de répondre d'une fonction de
tiers tutélaire humanisant (soins, éducation,
etc.)
Je crois que c'est en surmontant, c'est-à-dire en intégrant
''L'Anti-dipe'' et les pensées qui se sont développées
par la suite dans Mille plateaux dans la collection "Capitalisme
et schizophrénie" et enfin dans ''Critique et clinique''
, pour aller vite, au lieu d'en cultiver et d'en poursuivre le
clivage, que notre pensée peut avancer dans notre champ
et se transmettre ainsi à d'autres, voisins, et leurs
cortèges de questions, d'énigmes et de butées
auxquelles ceux qui restent sensibles et responsables sont confrontés
chaque jour.
Le trans-générationnel:
Il est un pas nécessaire pour se sortir de l'impasse pidienne
qui oublie, escamote la faute de Laïos, père d'dipe,
le meurtre programmé de cet enfant sur le mont Cithéron,
c'est-à-dire transgressant l'interdit du sacrifice
d'enfant (pratique ancestrale) et leurs indéfinies
conséquences dramatiques dans l'existence damnée
de ce dernier.
Sophocle, dans sa tragédie, en expurge la crise, en dénonce
dans "dipe à Colonne'' la monstruosité
par la bouche même de ce dernier qui réfute sa culpabilité
et dénonce ses géniteurs infanticides, mais ne
peut qu'en mourir un peu à la façon du soldat inconnu.
L'écriture de cette tragédie était nécessaire
à Sophocle comme pour repérer cette impasse, pour
ceux de son temps et avec eux, mais aussi - le réalise-t-on
? - aujourd'hui, pour nous. C'est - nous semble-t-il - à
côté de celle des hébreux, l'autre sortie
d'Égypte et de ses pratiques de sacrifices humains et
surtout d'enfants.
Cependant, il reste, encore une fois,
naïf de penser qu'une fois représentée, que
ce soit dans l'Histoire humaine ou dans celle d'un humain, cette
conscience soit acquise "une fois pour toutes" comme
de penser qu'il n'y aurait qu'une crise dans la vie.
Ainsi nombre de psychanalystes adhèrent encore à
cet escamotage et "dipianisent" à
tour de bras ceux qui font appel à eux.
Ferenczi, malgré toutes les entreprises
des scandaleuses censures de l'orthodoxie, a réussi
à nous faire parvenir les messages de toute une vie de
clinique et de critique qui, pour ceux qui l'entendent, nous
a aidés à refaire ce pas. Il est nécessaire
mais, pour certains d'entre nous, insuffisant. S'arrêter
là, c'est méconnaître fondamentalement un
autre pas qui ne s'y oppose pas mais le complexifie (autre paradoxe
qui enrichit notre plan de compréhension, conditions du
sens, plan d'immanence).
Autre pas, donc, celui opéré
par l'antipsychiatrie française
et en particulier dans la collection intitulée si précisément
et largement "capitalisme et schizophrénie",
une pensée de l'humain tout à la fois clinique
et critique, politique, sociale et processuelle : le devenir,
l'"être du devenir", le "devenir minoritaire",
se découvre toujours placé et combattu par les
forces des étalons majoritaires qui gouvernent tyranniquement
nos mondes.
Alors qu'il est juste, dans les sociétés
traditionnelles, de considérer la famille comme élément
structurellement fondateur, dans notre monde moderne il est fallacieux
de la considérer comme matrice initiale de chacun qui
s'y trouve rabattu sur le papa-maman, mon papa, ma maman, ma
grand-mère etc., alors qu'elle est de très longue
date, sur-codée par les forces du politique et du social.
Gilles Deleuze nous déclare dans l'"Abécédaire",
dans cette logique éclairante pourvu qu'on y pense sensiblement
: "La majorité c'est personne et la minorité
(singularité) c'est tout le monde", l'"étalon-majorité"
(norme) étant une forme vide, figée, sidérée,
même si elle se remanie sans cesse pour garder son emprise
et son pouvoir.
Celui qui s'y reconnaît trop y
laisse subjuguer sa singularité, et se perd (nobody)
celui qui ne s'y retrouve pas est minoritaire (everybody).
Les croisées ou mieux les mixités
de ces verticalités (trans-générationnel)
qui favorisent et/ou altèrent l'ontogenèse du petit
d'homme et de ces horizontalités des mondes dans lesquels
nous vivons au présent, aujourd'hui, sont essentielles
et déterminantes dans les surrections de l'humain au cours
de toute son existence. C'est là que sont requis ceux
qui ont à répondre de soins à des humains
menacés (psycho-soma) de troubles de toutes natures (besoins
de dépendance) et à les (ré)accompagner
vers une vie qui puisse reprendre son cours selon leurs propres
forces et potentiels singuliers (besoin d'indépendance).
Depuis le début de mon article,
j'indique "psycho-soma" comme allant de soi.
Je pense qu'il y a également à expliciter ce terme.
En effet il apparaît de plus en plus impertinent, voire
dangereux dans la clinique, de maintenir ce clivage théorique
probablement nécessaire dans un moment passé des
fondements de la science mais qui méconnaît fondamentalement
(ignorance clivante) la plus fine et indissociable perception
de l'intime : le corps est l'âme et l'âme est le
corps (Spinoza : "Que peut un corps ?").La langue anglaise,
par ses somebody, anybody, etc., en témoigne explicitement.
Pour un humain vivant, qu'il soit plus
ou moins clivé ou plus ou moins conscient, ce n'est que
dans cette (re)connaissance qu'il peut s'éprouver au plus
près de lui-même "allant-devenant" comme
le formulait Françoise Dolto dans son remarquable ouvrage
"L'image inconsciente du corps" qui rend compte pour
nous très finement de ces retrouvailles du corps-âme
: celui dont il ne reste qu'une dépouille/enveloppe lorsque
la vie ne l'anime plus.
Ces crêtes, ces paradoxes corps-âme, conjugués
à ceux de l'humain affecté des devenirs et/ou des
empêchements qui lui arrivent du monde et de ses ascendants
et descendants, pose une multiplicité de déterminants
complexes à la croisée desquels psychanalystes
et analysants se trouvent convoqués dans une expérience
où se découvre (s'invente) un inconscient dont
l'expérience, pour chacun(e) singulière, tisse
et invite à une créativité interactive pour
une ["vie faisant de la pensée quelque chose d'actif
[
] une pensée faisant de la vie quelque chose
d'affirmatif" .
"Que vous est-il arrivé ?"
mêlé à "Que vous arrive-t-il ?"
engage celui-là même qui reçoit dans un "Que
m'est-il arrivé ?" et "Que m'arrive-t-il ?",
y compris "Que va-t-il m'arriver avec cet autre, en souffrance,
qui me demande de l'aide ?".
Ce plan constitué dans toute sa
complexité, nous comprenons que la mise en fonction de
formes normatives ordinaires et aveuglantes, concevant l'"individu"
voire le sujet doté d'un inconscient déjà
structuré selon des théories en forme de préjugés
inquestionnables et totalisants, sont toxiques et nuisent aux
tentatives de fugues que les désirs humains s'efforcent
de réaliser, de constituer, "sans mal tourner",
se glissant aux failles des agencements "molaires"
(notion métaphorique de Gilles Deleuze, opposée
à moléculaire) qui les traquent.
L'effet devient de façon plus
ou moins aiguë la cause, et l'humain en souffrance est identifié
dans son être à cette souffrance elle-même
: c'est un névrosé, une hystérique, un psychotique,
un malade, un pervers, un meurtrier, un délinquant.
Cet enfant est caractériel, il
tient ça (génétiquement s'entend) de son
grand-père, de sa tante, etc. Le suicidaire, voire le
suicidé, est l'acteur d'"irresponsables raptus"
quand on ne l'accuse pas de pratiquer le chantage et d'attaquer
son entourage (ce qui n'est pas forcément faux et comporte
une certaine légitimité puisque personne n'entend
son impasse et sa souffrance). Bien entendu, par là, cet
entourage se défausse de sa responsabilité et proclame
son innocence (ce qui est faux).
Ces dénis d'altérité
escamotent les conditions mêmes de l'existence humaine
et ignorent ces complexes paradoxes qui impliquent l'histoire
personnelle de chacun et l'état des agencements actuels
du monde qui l'entourent et le mettent en "fonction"
(cf. P. Delaunay dans son travail sur Austin et Frege).
Les conséquences en sont graves
et permanentes à tous les niveaux de notre société,
depuis la famille donc, mais aussi depuis l'école maternelle
et jusque dans tous les agencements d'emplois, voire de loisirs
qui surplombent chacun (et le collectif) et jusqu'aux plus hautes
instances de pouvoirs, politiques, étatiques, intellectuels,
médiatiques, juridiques, ou privés (entreprises,
institutions
) et l'entraînent inexorablement toujours
plus loin de lui-même et de ses besoins de vivre, de devenir.
"Les sociétés ne sont
que collectives, elles ne sont pas humaines." (Pascal Quignard
dans'' Vie secrète''. Dans son remarquable et émouvant
ouvrage, P. Quignard ne cesse d'évoquer de manière
poétique ces impasses et ce fait inexorable : ce n'est
qu'à l'écart de cette socialité tronquée
que le fasciné, le sidéré peut rencontrer
cette sorte d'amour humanisant qui fait éclore une dimension
privée l'initiant à se désidérer,
à discerner ce qui pour lui est bon et ce qui est mauvais,
hors de ces dangereuses mornes normes où le guettent d'indéfinies
répétitions dont ce socius est gourmand (exécutions
publiques, humiliations publiques, intrusions de la presse des
groupes de tout genre, etc.).
Mais les questions vont plus loin : elles
concernent certains plus "sensibles" et je dirais en
ce sens plus précieux que d'autres. Le cadre de soin (psychanalytique
en ce qui nous concerne) a pu pour eux générer
de profonds remaniements relationnels à l'"autre",
de longs processus partagés avec l'analyste pendant plusieurs
années, chaque séance après l'autre, pour
devenir sans préméditation, ouvrage d'attention,
de tact, d'avancées, de tendresse et de détresse,
d'élaborations complexes et humanisantes.
La brutale et sauvage réalité
du monde actuel ne cesse de menacer ce patient travail, et tous
les fauves et les agencements sociaux sans états d'âme
restent aux aguets d'une proie qui, accédant à
sa santé, ne saurait, pour elle-même et contre elle-même,
reproduire les dénis grossiers qui nous environnent, reste
sensible et, par là, vulnérable ("La santé
est incompatible avec le déni de quoi que ce soit."
D.W. Winnicott).
Comment "mettre au monde" dans
un monde si cruel et si fou ? Une question quotidienne lourde
et parfois désespérante.
"Capitalisme et schizophrénie"
: deux termes dont le rapprochement fécond pour une pensée
de la vie et déjouant les pièges grossiers mais
devenus si banals et normaux qui aveuglent et assourdissent toute
sensibilité singulière - ne me semblent avoir été
ni épuisés ni entamés dans toute leur pertinence.
Chacun d'entre nous les dénonce et, sans cesse, se prend
sur le fait d'être repris.
Recodée, réactivée,
la bête humaine n'est jamais rassasiée, l'humanisation
processuelle n'est jamais définitivement acquise, polissant
et repolissant ce fond grondant de l'inhumain de l'humain et
ne peut être révélée, "bordée"
que par des épreuves non dépourvues elles-mêmes
de cruauté, mais contenues et tenues avec un autre (ou
des autres - collectif solidaire).
Ces épreuves comportent de toujours réintroduire
dans notre pensée de la vie, la conscience de l'irreprésentable,
cette conscience de l'"éternel retour" de la
vie comme passage, à jamais sur cette terre privé
de tout savoir objectivable sur l'origine et sur la mort. À
cet égard, c'est en ceci que tout sens est une création
révisable et au service de cet énigmatique souffle
de vie qui nous anime.
Le psychanalyste, ami-tiers : le soignant
ami-tiers. "L'ami - dit Zarathoustra - est toujours un tiers
entre je et moi qui me pousse à me surmonter et à
être surmonté pour vivre." (Nietzsche)
Ce tiers-ci se distingue très
nettement de celui posé pour Freud au moment de sa conception
de l'dipe, qui supposait l'enfant, de nature ("en
germe"), parricide et incestueux, mais aussi dans les "Essais
de psychanalyses" , à double forme (pervers polymorphe),
c'est-à-dire matricide et incestueux avec son père
(homosexualité). Freud suppose que chez le garçon
la première forme domine généralement l'autre,
et inversement chez la petite fille. Les tiers donc qui ne sont
déjà pas dans cette voie strictement référée
au père (dipe double) mais aussi à la mère,
confèrent à la fonction éducative une forme
de dressage interdicteur de bas instincts inhérents de
naissance au petit d'homme et à ses formes constitutionnelles
initiales (Il y a de l'être au commencement : ontologie).
Nous prolongeons par là et répétons insidieusement
les immondes théories éducatives du XIXe siècle
dont Alice Miller nous a révélé les détails
monstrueux.
L'humanisation n'a rien d'un dressage
mais, pour nous, se constitue de façon radicalement autre
et selon les épreuves processuelles d'une crise trouvant
dans un entourage favorable les conditions de son dénouement.
Le dressage, à cet égard (représailles et
ignorance), soumet l'autre à des interdits aberrants et
inculpant dont sont "friands" nombre de "psy"
qui accusent ainsi des analysants de résistance à
l'analyse quand c'est à l'analyste qu'ils résistent
et à la crise à laquelle ils convoquent celui-ci.
(Jacques Lacan nous a bien éclairé ce renversement.)
Dans cette perspective, la fonction paternelle
(non systématiquement exercée par le père)
c'est la fonction de tiers qui est capable et favorable au dénouement
d'une "désaliénation" seconde nécessaire,
d'une séparation soutenant l'affirmation des besoins d'indépendance
: créer par soi-même du sens," s'autoriser".
Cette seconde phase ne peut advenir que
si la première symbiotique (H. Searles) a pu suffisamment
être vécue dans cet état primitif qui se
compose au creux de la préoccupation maternelle primaire
(besoins de dépendance). Pour Winnicott donc, on discerne
bien que l'objet (la mère) doit être capable avec
assez de justesse de répondre à ces besoins symbiotiques
puis de "survivre" sans représailles à
la destructivité de l'enfant.
Elle exercerait donc successivement à
ces stades précoces les deux fonctions : maternelle puis
paternelle. De plus, l'haptonomie nous a enseigné qu'in
utero les appareils sensoriels ne sont que partiellement développés
et qu'en particulier l'ouïe n'est capable dans ses premières
auditions que d'entendre, de percevoir les sons graves (voix
du père). C'est ainsi que nous en venons à penser
que, bien avant d'être capables de conscience et de représentations
différenciées, les perceptions de l'enfant (traces
mnésiques) saisissent les dualités sexuées
de l'environnement qu'il entend puis dont, après la naissance,
il fait l'expérience.
La question des "nouveaux pères",
par là, peut trouver quelque éclaircissement. Certains
pères sont plus aptes à l'accueil symbiotique que
la mère de l'enfant ; d'autres sont déroutés
et se sentent exclus. Chaque couple inscrit dans chaque famille
singulière est un cas, non généralisable.
Et comment supposer qu'un père capable de symbiose sans
être fusionnel, par là maternant, puisse faire confusion
pour l'enfant avec sa mère. Il n'a ni les mêmes
gestes, ni les mêmes mains, ni la même voix.
Il reste regrettable que certains pères
se retrouvent contraints - par l'air du temps et par la pression
des revendications "féministes" - à une
présence à l'accouchement qu'ils ne peuvent supporter,
puis à des soins auxquels ils se sentent contraints et
qu'ils exécutent par soumission.
La clinique nous montre fréquemment
comment des fonctions duelles parentales, sur la crête
desquelles chacun cherche son équilibre, ont des généalogies
singulières parfois surprenantes qui nous ont invité
à distinguer la fonction de la personne que le schéma
impliquerait. Des glissements ou des carences de rôles,
imposés par l'histoire familiale et/ou l'Histoire de nos
peuples, ont affecté bien des humains (si ce n'est tous)
et la question n'est pas de leur refaire une enfance mais de
poursuivre au mieux et de façon de plus en plus créative
une existence parfois gravement compromise dès sa conception
puis reconduite "lassablement" en contrainte de répétition
(jamais en manque de "complice(s)") tout au long de
leur vie.
C'est en cela que ceux qui - médecins,
psys, travailleurs sociaux, juges et bien d'autres encore - ont
à intervenir en cas de crise auprès d'une personne,
d'un enfant, d'une famille, d'un parent, etc., pour tenter d'en
favoriser au mieux le dénouement, ne peuvent appliquer
des formules normatives simplificatrices voire moralisantes et
autoritaires sans se faire, à leur insu, complices, et
parfois du pire.
Nous supposons pour chaque enfant une
matrice Père-Mère Singulière, infiniment
déterminée par l'ascendance et les actifs agencements
du monde auquel ils ont à mettre l'enfant (et non pas
seulement, comme le formulaient Michel Guibal et Pierre Delaunay,
à le mettre bas).
Le Tiers répond tout à
la fois des conditions de la Crise et du Sens, (plan d'immanence)
pour quelqu'un qui en a besoin pour se surmonter et/ou surmonter
celui qui prétend le mettre en ce monde. L'exercice de
cette triangulation (non-dipienne au sens originaire de
Freud) n'appartient à personne de droit, mais se reconnaît
par l'effet libérateur après-coup (clef des champs,
fugue dans la créativité) et adapté à
la vie (corps et âme).
Pour finir je dirais que les psychanalystes,
mais aussi tous les soignants auxquels des enfants et des adultes
souffrants se confient sont interpellés dans l'ensemble
par ces paradoxes fondamentaux dans lesquels l'entendement est
soumis à rude épreuve, paradoxes qui ne peuvent,
bien entendu, se simplifier par aucune recette ni croyance ni
orthodoxie ou hiérarchie instituée et préjugeante.
"Dans la clinique il ne peut y avoir de hiérarchie."
(Cf. Winnicott'' Jeu et Réalité).
L'orthodoxie n'est que la plus puissante des hérésies.
La hiérarchie, c'est en tant qu'agencement de titre et
non de légitimité qu'elle est ici dénoncée.
Cette légitimité, elle est étroitement liée
à celle de l'autorité dont l'étymologie
(questionnant dans son histoire les vérités mouvantes
qu'ont signifié un mot) est référée
dans le petit Robert étymologique, à Août,
mois de plénitude, puis à Auguste, empereur dont
le règne a été favorable au peuple. Autorité
se donne à entendre comme "favorable à la
croissance".
Comme le faisait remarquer Winnicott,
il est bien plus facile de rendre explicite ce qu'il en est du
faux-self que du vrai, et je me rends compte de cette difficulté.
Pourquoi poser toutes ces erreurs graves de nos mondes et comment
faire autrement en sorte de surmonter nos préjugés
et être en relation favorable à l'interactivité
créative humanisante dont tout humain, affecté
au-delà de ce qu'il peut, a tant besoin ? C'est l'affaire
de chacun qui ne peut accéder et développer ses
capacités à entendre l'autre dans sa singularité
que pour autant qu'il a déjà lui-même été
tenu et accompagné dans l'accès à son propre
fond, ses propres failles, à apprendre à penser
la vie pour savoir (saveur) que la vie même est "passage",
exigeant renouvellements et inventions avec et pour l'autre et
pour soi-même.
Les frénésies de posséder
ou/et d'instituer me semblent à cet égard les formes
basses de réponse à cette question, les maladies
qui gangrènent de plus en plus notre monde.
Par exemple, la recette de neutralité
bienveillante peut être de la plus stupide à la
plus meurtrière. Certains et selon les moments demandent
quelqu'un de discret et retiré mais peuvent être
intensément soulagés quand à un instant
précis l'analyste s'engage vivement sur un point crucial
de l'histoire de l'autre que celui-ci n'avait jamais perçu
dans son importance vitale.
Le soignant ne l'est jamais, en tant
que tel, qu'en rapport intime avec son histoire d'enfant et celle
de sa mise au monde. Et c'est le plus souvent de ce fond, reconnu
ou non, valorisé ou non, dans ses développements
spécifiques qu'il puise créativement et/ou en répétitions
nocives son désir de soigner.
Nous n'avons jamais fini d'avoir besoin
des autres ou d'un autre et celui que nous soignons peut parfois
bien nous surprendre, en nous contraignant, pour l'entendre,
à revisiter une souffrance passée à laquelle
nous ne voulions plus penser ou qui était restées
silencieuses.
Je m'arrêterai là, en témoignant singulièrement
que ce que j'entends autour de moi - dans ma vie personnelle
comme professionnelle - m'alerte de plus en plus et me fait peur.
Je crois que nous sommes très nombreux à être
inquiétés de ce qui nous arrive d'un monde où
le droit et les besoins humanisant sont de façon croissante
et indéniable bafoués et détournés
au bénéfice monstrueux du pouvoir (plus bas degré
de la puissance qui est créative et pour le bénéfice
de tous) économique, armé de moyens politiques,
médiatiques, technologiques et internationaux (planétaires)
jamais atteints dans notre histoire humaine.
Et puis non, plutôt nous quitter
sur une question, les états pathologiques ne seraient-il
pas des sortes d'"arrêts sur image'", une fixité
du temps subjectif, produit de l'interruption d'une mutation
processuelle due à une détresse (détressé,
délié), celle de la défection d'un autre
avec qui s'était engagé un processus d'introjection
(voir pour ça les travaux de Maria Torok et Nicolas Abraham
dans l'ouvrage L'écorce et le noyau ?) Maria Torok (p.
235) y redéfinit finement les processus d'introjection
et les avatars des ruptures de ceux-ci, les incorporations, tels
que conçus par Sandor Ferenczi).
Dans la clinique, nous avons observé que les phénomènes
d'arrêt du temps étaient un des symptômes
majeurs résultants des atteintes "incestuelles"
telles que les a conçus Racamier, mais ne serait-ce pas
ceux de tout traumatisme ? À cet égard, ne pourrions-nous
pas concevoir que le pathologique c'est un étant devenant
figé, fixé dans un état (chronicité)
?
Le passage par un moment de désorganisation
du Moi, ou, autre exemple, un moment dépressif, précurseur
d'une créativité renouvelée, celui d'un
besoin de se retirer de toute socialité, tous ces étant
me paraissent relever d'une amplitude de vie qui participent
d'une santé. Fixer tous ces passages en états,
et nous y reconnaîtrions peut-être une psychose de
type schizophrénique, une dépression, un autisme.