psychanalyse In situ


La deuxième Rencontre Mondiale des États Généraux de la Psychanalyse
à Rio de Janeiro: Empire ou Multitude ?


Pour tout ce que la psychanalyse représente comme passion, acte et pensée pour nombre de ceux qui la pratiquent, je me suis proposée d'écrire quelques lignes sur le Mouvement des États Généraux de la Psychanalyse à l'occasion du IIème Mondial.
Plusieurs rencontres des Etats Géneraux de la Psychanalyse (deux Mondiales et trois Latino-américaines) ont prétendu depuis 1998 amener à une réflexion sur le lieu de la psychanalyse dans la scène contemporaine à partir d'une révision critique et éthique de sa posture solipsiste ou auto-centrée, qui l'a faite se maintenir, avec d'honorables exceptions, recueillie aux sociétés de psychanalyse où à la solitude des cabinets tout au long du vingtième siècle. Lieux dans lesquels a régné très souvent une cruauté souveraine qui a eu des conséquences évidentes sur la clinique psychanalytique, sur les rapports sociaux entre les psychanalystes et ainsi que sur les rapports entre la psychanalyse et les autres sciences.
Le besoin d'une auto-interpellation, mis à jour par René Major en 1997, à propos de ce nous aurions fait du legs freudien, a porté des psychanalystes de plusieurs pays à penser et discuter, essayant de récupérer le caractère critique, riche et vibrant de la découverte freudienne, qui, voilà un siècle, avait osé révolutionner la pensée occidentale. Pour ce, ils ont dû dépasser des différences d'orientation, de culture, de langue, et, essentiellement, leurs certitudes, en voie de pétrification.
Le mot - révolutionner - renvoie, évidemment, à la propre dénomination des EGP en faisant référence à l'importance des Tiers-États dans les Assemblées des États Généraux, auxquelles participaient également le clergé et la noblesse.
Sous les propos critiques et révolutionnaires de ce Mouvement, le trépied peuple/clergé/noblesse nous amène immédiatement à la question de qui détiendrait effective-ment le pouvoir et de quels pouvoirs effectivement il s'agit lorsque nous pensons à une révolution pour la psychanalyse.
En approfondissant davantage la question du nom, si nous pensons au rapport entre savoir et pouvoir en psychanalyse, il faudrait admettre qu'une forme aristocratique et religieuse de la pensée psychanalytique s'est structurée dès ses débuts institutionnels - donnant lieu à ce que des savoirs sacerdotaux ou à des prétendus représentants du savoir/droit divin se constituent comme savoir insti-tué/pouvoir constitué dans les sociétés psychanalytiques - et que ce serait en réalité un grand défi pour le Mouvement des EGP de donner voix au Commun, au " peuple " psychanalytique. Or c'est justement ce que propose ce mouvement en instituant sa règle fondamentale : chaque analyste parle en son propre nom. Autrement dit, il ne délègue rien à personne, il ne se fait pas représenter.
En 2000, à l'occasion des Premières Assises Mondiaes des EGP à Paris, il fût possible de parier que cette rencontre-événement dans l'histoire de la psychanalyse déposerait la souveraineté du savoir psychanalytique. C'est-à-dire, le savoir psychanalytique comme Un, et, par consé-quent, provoquerait la chute de tout effet imaginaire au-tour d' un savoir-pouvoir qui puisse être détenu par Un ou par quelques uns. Ainsi, plusieurs voies se sont ouvertes, et, entre elles, celle d'une Communauté Psychanalytique Internationale, démocratique, plurielle, établie selon des formes d'agrégation libres du joug des sociétés psychanalytiques, et qui essaierait autant que faire se peut de contrecarrer le retour d'une psychanalyse totalitaire.
De cette façon, le Mouvement des EGP semblait re-lancer l'entreprise freudienne -riche et généreuse-, qui a donné aux hommes un instrument capable de réduire sa " misère érotique ". Tout en commençant cette transformation chez soi, à partir d'une nouvelle position : celle des psychanalystes instituants (et non institués), qui parlent en leur propre nom, n'étant ni soumis à ni garantis par une quelconque société psychanalytique.
Des psychanalystes instituants produisent un savoir instituant, qui est Commun et a des effets, en réalisant ain-si le pouvoir constituant de ce mouvement. Pouvoir qui ré-volutionne, qui nous arrache à nous-mêmes et nous pousse vers l'autre - qu'il soit notre collègue, notre patient/client, ou un autre savoir - sans mystification ni appropriations, ce qui permettrait de distinguer, au sein même de ce mouvement, puissance de pouvoir (Macht de Gewalt). Les répercussions éthiques de cet événement entre psychanalystes et la clinique sont extraordinaires, comme on peut facile-ment l'imaginer par le simple fait que la psychanalyse passe alors à pouvoir assumer ses devenirs éthique et poli-tique.
Pourtant, il a été constaté que, depuis ce premier Mondial, le Nouveau se présentait en même temps que l'Ancien, le réactionnaire, ou, si l'on préfère, le monarchique, l'Impérial, qui resurgit face à la puissance de la Multitude, exprimée par les 1000 psychanalystes présents à Paris. Cela dans la représentativité du dispositif lecteur à travers lequel certains psychanalystes se voyaient confier la tâche de faire une " lecture " des textes de 20 ou 30 collègues, contrariant la seule et fondamentale règle des EGP : chaque psychanalyste parle en son propre nom.
Tout en utilisant la rhétorique politique d'Antonio Negri, une des stars internationales conviées au IIème Mondial des EG, la représentativité casse (dans le douloureux sens brésilien de priver un sujet de ses droits poli-tiques, et dans le sens français de casser) la puissance de la Multitude.
Dans Le Pouvoir Constituant, qui traite du type de pouvoir qui devrait intéresser ici et maintenant la Communauté Internationale Psychanalytique -amorcée par les EGP dans la mesure où il est question du pouvoir des for-mes expressives de vie, et non de celui du contrôle sur elles (biopouvoir), Negri élabore une démocratie sans représentativité, unique mode d'action que puisse avoir la Multitude, comprise comme un collectif de multiplicités/singularités. Cette démocratie comporte, telles que nous devrions nous y attendre, la dissension et la disruption comme formes légitimes d'existence de la Multitude, les soutirant ainsi de l'enfer paranoïaque où finalement l'autre ne peut jamais être l'autre, lui étant toujours hostile. En cela réside, il me semble, la façon d'agir/interpréter de l'Empire, ou même peut-être la forme la plus archaïque de la monarchie, telle que nous la pré-sente jusqu'à présent l' histoire des EGP. Histoire qui nous remet paradoxalement à Napoléon, qui se fait sacrer Empereur, trahissant la révolution, et au Tiers-État, la Multitude, qui insiste, faisant résistance.
Un précieux exemple de résistance de la Multitude nous est offert par les Rencontres Latino-américaines pour les États Généraux de la Psychanalyse, mode de fonctionnement interactif qui accueille l'autre et sa parole, sans mystifications et sans effets médiatiques, et donc, sans ta-rifs d'adhésion qui excluent les étudiants, nos pairs et impairs plus dépourvus. Il est significatif de constater que ces rencontres ont été considérées préparatoires pour de possibles autres réunions mondiales, mais ce sont elles, et cela a été mis en évidence, qui incarnent la puissance de la Multitude, si nous voulons bien jeter un regard sur les deux rencontres de São Paulo et celle, en particulier de Buenos Aires en octobre 2002, où les contradictions de ce mouvement se sont montrées à ciel ouvert.
Il s'agirait, certainement, de se demander si ces deux formes simultanées d'existence de la psychanalyse, dé-voilées publiquement par le Mouvement des États Généraux, c'est-à-dire, la façon Impériale et celle de la Multitude - la première étant autocentrée et délibérément solitaire, essayant de contrôler les formes vivantes ou constituantes de la Multitude - peuvent se séparer, ou conti-nueront à coexister avec une tension sans résolution.
Au centre de cette question, une autre question plus grave se pose, à savoir s'il est possible d'y avoir un pouvoir constituant, sans que celui-ci fasse appel à un pouvoir constitué, ce qui nous défie à penser de quelles façons ou par quels "moyens indirects" - pour utiliser une expression de Freud dans sa lettre à Einstein où il fait référence à Éros - nous pourrions, chaque fois davantage, privilégier la Multitude.
Pour terminer, je veux rappeler que pour nous, psychanalystes du XXIème siècle, dans un monde mondialisé, transformer la psychanalyse en un projet Commun, est un défi majeur.

Rio de Janeiro, le 25 Octobre 2003

Glaucia Dunley

glauciadunley@aol.com
Des extraits de cet article ont paru au Jornal do Brasil, Ca-derno B, 
le 29/10/2003

 


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