psychanalyse In situ


La méthode psychanalytique

Claude Nachin
Évolutions et pratiques. Armand Colin 2004. (205 pages.)

 

Notes de lecture par Anne Bourgain

 

 

        A plus d’un titre, il peut paraître audacieux de proposer un ouvrage universitaire sur la méthode psychanalytique:
- D’abord, parce que l’institution universitaire depuis toujours cherche à bouter la psychanalyse hors de ses frontières, lui préférant comme on le voit actuellement des approches plus normatives, à l’heure où l’évaluation fonctionne comme maître-mot.
- Ensuite, parce que bon nombre d’analystes se désintéressent de la « psychanalyse à l’université » comme s’il s’agissait, en se substituant aux sociétés de psychanalyse, de former des analystes à l’université, ce qui serait évidemment un non sens …
- Enfin, parce que certains voient d’un mauvais œil que soit mise en avant la notion de méthode, même si Freud a le premier publié la technique analytique. Comme le souligne lui-même notre auteur, il y a somme toute assez peu d’ouvrages sur la méthode. Cela sonnerait-t-il comme un anathème? Nul ne saurait s’étonner que Claude Nachin, qui n’a jamais entendu sacrifier sa liberté de penser et a toujours eu la rigueur comme souci premier, se soit lancé dans ce projet avec la tranquille détermination et l’esprit de précision qu’on lui connaît. Il aura su montrer à quel point Freud lui-même avait tendance à user de la théorie contre la méthode. Encore maintenant, la doctrine tend bien souvent à prendre le pas sur le génie de la découverte freudienne, et on peut même parler de résistance de la psychanalyse à l’inconscient à travers l’actuel retour en force en son sein du médical et de l’éducatif. A cet égard, l’auteur, par ailleurs psychiatre de formation et de surcroît nettement engagé pour la rénovation de la psychiatrie dans les services qu’il a dirigés de Bailleul à Amiens, n’a pour autant jamais confondu les deux champs: il rappelle ici encore que la pratique analytique n’a que faire de la nosographie psychiatrique, tout en constatant la «tentation récurrente d’un retour de la psychanalyse vers la psychiatrie.» La formule freudienne subtilement évoquée selon laquelle «le candidat à l’analyse est un chat que l’on achète dans un sac» garde son tranchant face à ces pratiques actuelles d’étiquetage parfois dès les premiers entretiens. 

    Aussi Claude Nachin rejoint-il les quelques praticiens qui, quelle que soit leur obédience, nous rappellent qu’il est nécessaire de prendre à la lettre l’enseignement freudien: il s’agit, en particulier durant l’acte analytique, de savoir faire taire nos présupposés théoriques pour préserver le côté révolutionnaire de l’aventure. L’auteur des fantômes de l’âme, qui a toujours su rendre hommage à l’œuvre de Ferenczi, montre ici comment ce dernier s’est en quelque sorte montré plus freudien que le maître. On comprend mieux à lire cet ouvrage au style limpide pourquoi Ferenczi demeure post mortem l’enfant terrible de la psychanalyse, aujourd’hui encore largement décrié. En effet, par son souci de garder le cap sur le réel de l’expérience, qui suppose la fameuse élasticité de la technique, il est forcément un empêcheur de penser en rond face au dogmatisme et au réductionnisme ambiants. Mais Claude Nachin ne manque pas d’évoquer également l’importance à ses côtés de Rank, injustement réduit à sa théorie du traumatisme de la naissance, puis plus tard de Balint. En fin lecteur de Nicolas Abraham et de Maria Torok, Claude Nachin qui est aussi le président de l’association fondée autour de leur œuvre en 1999, situe résolument l’écoute des traumas singuliers avant les besoins de validation des hypothèses théoriques. Ceci implique, si on garde ce cap éthique, de ne pas faire fonctionner à son tour le trauma comme présupposé théorique …et c’est peut-être dans cet espace que s’ouvre le débat avec des analystes d’une autre orientation. Quoi qu’il en soit, Claude Nachin a l’exigence de ceux qui, refusant tout placage, prennent en compte le contre-transfert, qui reste toujours à analyser, en ce qu’il renvoie au besoin de croire de l’analyste…et du même coup à la tentation de se satisfaire des résultats acquis. C’est pourquoi, loin de se croire quitte de l’inconscient, et a fortiori de prétendre le liquider, il s’agit plutôt de s’exercer à compter avec lui. Dès lors, le propre de la démarche analytique, c’est bien l’absence de construction préalable, l’accueil méthodique de ce qui vient, qui ne saurait jamais être systématisable. 

    Au-delà des clivages théoriques, des glissements, des tiraillements, cet ouvrage est une invitation à revenir à la pratique, à apprendre -au risque du transfert, du contre-transfert, ou si l’on préfère, du désir de l’analyste- à rester analyste, ce qui ne saurait être une position acquise. Il ne s’agit pas pour autant de se mettre à jouer à l’analyste, si je puis dire. La position analytique que d’autres nomment place de semblant, ou de sujet supposé savoir, Claude Nachin la conçoit sous le signe d’une humilité qui ne cache pas sa dette envers Ferenczi. Chemin faisant, notre auteur revisite quelques pages oubliées ou arrachées de l’histoire de la psychanalyse et les met en perspective avec la pratique actuelle. 

    Mettant cartes sur table, il évoque les bases du contrat analytique, la construction en analyse, l’interprétation, la conduite de la cure des névroses, n’abordant volontairement pas ici le traitement des psychoses, question qui lui est toutefois familière. Il revient en revanche en détail sur la clinique des deuils pathologiques et de leurs effets transgénérationnels, vaste chantier de recherches auquel il a consacré deux précédents ouvrages. En ce qui concerne enfin la formation des analystes, il se montre comme toujours progressiste, attentif à ce que les enjeux de pouvoir ne tuent pas toute liberté de penser et d’exercer, et propose de mettre en place une procédure plus démocratique. Les étudiants, entre autres lecteurs, sauront tirer profit de ce précis méthodique, clair, à l’image de son auteur, qui a toujours mené sa barque à sa convenance, en dépit des vents contraires.

 

Anne Bourgain
novembre 2005

 

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