Psychanalyse et subversion
« Une des deux lycéennes du Puy-en-Velay en fugue depuis le 4
décembre a été récupérée samedi soir par sa famille dans la zone de construction
de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes où elle avait rejoint les opposants à ce
projet. Après avoir été examinée au service des urgences dans la nuit de samedi
à dimanche, elle a également été vue par un pédopsychiatre à la demande du
parquet. Elle est en bonne santé et va très bien, selon la même source »[1].
La « pulsion adolescente »
qui pousse les jeunes à s’engager dans la vie, à défendre des idées, est
réduite à du passage à l’acte, quasi délinquant. Et dans ce cas de figure,
apparentée à un dérèglement mental, une sorte de bouffée délirante puisqu’un
pédo psychiatre a été sommé d’examiner la jeune fille, bien que ce soit elle
qui ait appelé ses parents pour leur indiquer où elle se trouvait.
Aujourd’hui, tout écart d’un ado
signale une déviance. Loin des jeunes d’hier, adultes d’aujourd’hui qui
rappellent avec délectation les sottises qu’ils ont commises alors présentés
comme des faits d’armes.
La société attend clairement des
psychiatres qu’ils préviennent les passages à l’acte dirigés contre les siens.
Ils n’ont pas le choix face au risque inhérent à leur fonction et sont donc
tenus à une obligation de protection. C’est ainsi qu’un médecin psychiatre de
Marseille a été récemment condamné par le tribunal correctionnel de la ville
pour homicide involontaire, après qu’un meurtre eut été commis par l’un de ses
patients. Mais, en prêtant son concours à une administration, un procureur de
Le psychanalyste pour sa part, œuvre
pour dégager le patient (volontaire est-il besoin de le préciser ?) de la
gangue morale et culpabilisante dans laquelle il est englué. Il incite le
patient à penser par lui-même, s’excluant et l’excluant de fait du quota des
cerveaux disponibles pour coca-cola ou Disney.
Son cabinet est un lieu de
changement, d’évolution, et de révolution, plus que jamais au regard de l’ordre
établi qui ne souffre pas la remise en cause ni l’objection. Certes, il n’est pas
le seul à penser les évènements. Les philosophes, journalistes, enseignants et
autres citoyens « ordinaires » en témoignent, mais ils s’adressent à
des collectifs, au monde. Le psychanalyste lui est dans une relation à deux,
avec le patient dans un lien transférentiel et de transmission, ce qui
nécessairement l’oblige.
Les tracasseries et humiliations
des institutions fréquentées par des millions de gens pour des actes relevant
de la vie quotidienne eurent été qualifiées il y a encore quelques années de ubuesques
ou de kafkaïennes. Aujourd’hui, on est abasourdis de constater que le « ubuesque »
et le « kafkaïen » d’antan sont devenus la norme. Des petits
fonctionnaires tatillons et obsessionnels, interchangeables, sans nom propre,
robots sans état d’âme s’octroient un droit de vie et de mort sur les administrés
et en jouissent d’autant plus que ceux-ci sont fragilisés. (fins de droit, sans
papiers, étrangers …)
On peut affirmer à ceux qui
souffrent d’un « burn out » qu’ils ne sont pas capables de supporter
les contingences économiques inhérentes à notre époque. Mais il est aussi
possible de penser l’institution et ses avatars, de constater les abus de
pouvoir et les perversions fréquentes sur les lieux de travail. Du « pervers
narcissique », on parle comme d’une catégorie méprisable, mais peu d’institutions
le reconnaissent comme point de départ d’un effondrement pour ceux qui s’y
frottent.
Les pathologies actuelles
signalent un désarroi, un questionnement sur un « qui suis-je », « que
puis-je faire de ma vie ». Loin des considérations bien pensantes et morales,
le psychanalyste accompagne le sujet vers ce qu’il est appelé à être, vers la
place qui exigera de lui les aspects les plus créatifs de lui-même. C’est sans
doute pourquoi la psychanalyse est attaquée. Elle est dangereuse, encore trop
libre, même si les tentatives des institutions psychanalytiques elles-mêmes
tendent à réfréner les ardeurs de leurs membres francs tireurs, peu enclins à
rentrer dans le rang.
Mais, de même que les surréalistes
et les poètes du XXème siècle ont ouvert les portes de la création, il reste
assez d’hommes et de femmes engagés qui, sans bruit, dans le secret de leur cabinet,
œuvrent à la découverte du sujet par lui-même et pour lui-même, sourds aux
attaques, aux rappels à l’ordre, échappant ainsi à la perversion ordinaire et
faisant tout pour en détourner ceux qui leur font confiance.
Claude
GUY - Paris Janvier 2013
Psychanalyste