Acte juste et Esprit de non-pensée ou Esprit vide
(1)

Stefan Hassen Chedri

 

 

"Être éveillé, pour Lacan, c'est être exposé à ce qui est malgré tout inanticipable, le réel" (2)

 

 

Introduction

L'intérêt des samouraïs pour le zen est à l'origine de réflexions et d'enseignements sur le combat au sabre. Situation de violence ultime, extrême dans le duel, la mort est le troisième participant.
Cette présence de la mort est le critère pragmatique de la justesse de ces réflexions et la raison pour laquelle on doit les prendre au sérieux.
Ce critère se concrétise donc par l'acte juste en combat qui se nourrit de conceptions fortes et d'une pratique longue et rigoureuse.
Notre auteur de prédilection est un prélat de l'école zen Rinzai : Takuan (1573-1645). Maître dans l'art du jardin, de la cérémonie du thé, de la calligraphie, poète, il sera le confident du shôgun (le dictateur militaire du Japon) et du maître d'arme de ce dernier. Plusieurs des lettres qu'il adressa aux plus puissants acteurs politiques et militaires de l'époque nous sont parvenues et leur ton caustique voire acerbe ne laisse pas de nous étonner.
L'idéal du guerrier selon Takuan, c'est accéder à l'esprit vide, la non-pensée qui libère à la fois l'esprit et le corps.
L'Esprit de non-pensée permet l'acte juste, efficace, approprié à la situation.
En combat, c'est très clair, mais cela peut s'appliquer à toutes les dimensions de la vie. Par exemple, l'acte d'interpréter en psychanalyse ou l'énoncé de la parole juste qui dénoue une relation agressive.

Quelles sont les conditions sur lesquelles repose l'acte juste ?
Comment produire un acte juste, celui qui modifie la situation, la fait basculer avant d'en arriver à l'extrême : la violence, le combat.

L'Acte juste (3) est un acte signifiant, il fait sens, après ce n'est plus comme avant :
ce n'est pas une action qui s'intègre dans la suite des actions quotidiennes de l'existence. L'acte vise la précision et l'efficacité dans le cours des phénomènes : il y a donc une modification de la situation.
Cette idée suppose que l'acte est une fonction, un opérateur de changement et donc, que son support matériel est multiple : il doit être juste, c'est tout.

C'est la notion d'esprit de non-pensée ou d'esprit vide (4) et son lien avec l'acte juste que je vais essayer de comprendre à partir de textes écrits par Takuan et son fameux disciple : le maître d'arme du shôgun, Yagyû.
Ces textes sont présentés et commentés dans un ouvrage de référence : La voie du samouraï de Thomas Cleary (Ed. du Seuil).

Dans un texte intitulé Les mystères de la sagesse immobile - plus particulièrement dans la partie "Afflictions dues à l'inscience et à la fixation"- (5) Takuan avance que dans le combat, pour que l'acte soit juste, il est nécessaire de ne pas penser, simplement parer le coup, ne pas figer son esprit, éviter à tout prix la fixation ou l'attachement de l'esprit à un élément de la perception extérieure. Si vous percevez le mouvement du sabre, ne pas fixer pas votre esprit sur lui, veillez à faire le vide en vous, parer le coup dès la perception sans réfléchir, ni conjecturer.
Si vous fixez ne serait-ce qu'un instant votre esprit/perception sur le sabre ou la distance, votre acte échouera.
Votre esprit ne doit s'occuper ni de votre adversaire, ni de votre propre corps.
Il ajoute même plus loin : "Si vous placez l'esprit sur la pensée d'échapper à la mort, l'esprit s'y prend". (6)

Dans les parties "Sans interruption" et "L'esprit comme une étincelle", il souligne l'importance de la fluidité en action, la réaction spontanée sur le mode de l'immédiateté (7) , immédiateté de l'attention qui rend possible l'acte juste.
L'Acte juste n'est pas une réponse automatique, pas un simple réflexe mais une réponse éveillée qui repose sur une conscience fluide, une disponibilité.
Il précise qu' "En vérité, il n'est nul lieu où placer l'esprit."

Ces textes soulèvent beaucoup de questions et surtout pour ce qui nous préoccupe ici : Comment un acte juste peut-il se fonder sur l'esprit vide, qui est nulle part, un esprit de non-pensée ?

L'Acte n'est pas insensé, il est juste, il a un sens, il est approprié à la situation.
Alors, on peut faire l'hypothèse qu'il y a une activité de pensée ancrée dans la situation, et qui sous-tend l'acte, une non-pensée qui n'est pas insensée et cela d'autant plus que la non-pensée n'est pas l'absence de pensée.
Mais une non-pensée de quel ordre ?
Comment articuler immédiateté de l'acte et non-pensée ?

Si l'Esprit de non-pensée ne se fixe pas, est sans attachement, cela ne veut pas dire qu'il est indifférent à la situation, en particulier en combat mortel.
Si l'Esprit de non-pensée est délivré de la différenciation (cognition consciente) cela ne veut pas dire qu'il est sans une expérience immédiate du sens de la situation, (8)

Une expérience immédiate de la situation

C'est une posture, une attitude de réceptivité sensorielle globale, une disponibilité à... une ouverture
Qu'est une expérience directe, immédiate de la situation ? On parle aussi de vision directe. L'immédiateté de l'attention serait une attention non-pensée, détachée, non-fixée.
L'expérience immédiate est loin d'être immédiate puisque ce n'est possible que si on atteint un haut degré de conscience (paradoxal comme toujours avec la pensée asiatique).
L'Esprit de non-pensée correspond à une expérience directe de la situation, délivrée de la mythologie du faux moi imposant jugements et préjugés (ego) et du cogito (pensée objectivante) quant à la signification de la situation.
Ainsi ce n'est pas si immédiat justement, ce n'est pas donné. C'est un mode d'être qui s'acquiert par une longue pratique dont c'est l'étape majeure, hautement élevée :
un haut degré de conscience qui est un état de maîtrise inconsciente (9) quelle que soit la tâche effectuée.
Une manière paradoxale de dire que l'on ne maîtrise rien si on veut maîtriser, puisqu'on maîtrise de manière inconsciente que c'est sous-tendu par une "pensée non-pensée" (une vision directe).

En fait ce que je comprends "dans" cette idée de maîtrise inconsciente : c'est l'idée d'une disponibilité (10) à la situation : une réceptivité immédiate aux infimes changements de la situation sur lequel repose et se décide l'acte juste.
On perçoit alors la dialectique complexe dans l'expérience immédiate : être dans la non-pensée, c'est être dans la réalité immédiate à condition de mettre entre parenthèse les médiations : les connaissances, les représentations conscientes, les affects, les émotions, les attentes, les intentions...
C'est un mode d'être , une disponibilité fondamentale à l'écoute de... avec tout son corps. (11)
Ainsi la réalité immédiate, ce n'est pas l'ici et maintenant compris naïvement.
Quand on est dans le simple " ici et maintenant", on est pris par tout et rien, l'ici et maintenant est différent à chaque instant : on est dans la confusion, la dispersion, en fin de compte dans l'indifférence, absence de pensée qui n'est pas la non-pensée.
L'idée que l'esprit doit se tenir nulle part n'est pas simple car il peut divaguer, être dans la confusion, la dispersion mentale. Être nulle part ce n'est pas papillonner.
La différence entre la réalité immédiate et l'ici et maintenant, c'est le rapport au temps : il y a une continuité parce que l'esprit est nulle part, ouvert.
Il est centré : il a un site.

Le site : c'est l'esprit centré et le corps

Ce passage de Takuan est très important :
"L'esprit ne s'attache nulle part et se répand dans le corps tout entier.
Il s'adapte à chaque situation, à l'imprévisible, à l'inattendu.
Comme l'eau qui ne s'arrête nulle part : on ne décide pas, on laisse émerger.
L'esprit comme une eau vive à travers tout le corps" (12) (souligné par nous).

Qu'est-ce que cela veut dire : si l'esprit est ouvert et en phase avec la situation, c'est qu'il reste centré.
Il est centré : c'est-à-dire qu'il a un site, le corps est en situation, corps en éveil qui permet une ouverture à la temporalité des phénomènes ressentis.
C'est-à-dire être dans une disponibilité aux infimes changements de la situation, c'est cela que j'entends par une réceptivité primordiale au devenir de la situation sur lequel repose et se décide l'acte, puisqu'il arrive comme un événement à l' insu, qu'il émerge de l'esprit vide (l'activité consciente de décision est mise entre parenthèse)
L'esprit est centré par le corps dans la situation qui le dispose à... l'acte juste.
Dans la situation : l'Esprit de non-pensée a une orientation, un mode de fonctionnement psychique et quand vous êtes en combat, dire que l'esprit est nulle part ne veut pas dire que vous n'êtes pas présent à la situation, à ses potentialités.
C'est plutôt une orientation non-unilatérale de l'esprit, s'enfoncer là, y naviguer, entendre, s'ouvrir à la situation. L'esprit est nulle part mais pas hors de la préoccupation présente. La préoccupation, c'est s'insérer dans les phénomènes.
Dans et par le corps : cet esprit envahit tout le corps et imprègne l'être tout entier, c'est un esprit présent, une présence, cela redonne sa place à la sensation, au corps dans les processus d'émergence de pensées, du sens. Il y a une cohérence, une consistance dans tout ça.

Citons de nouveau Yagyû :
"Percevoir la pointe de l'instant ?C'est saisir le moment précédant le geste de l'adversaire. La première impulsion de ce mouvement est l'énergie, ou la sensation, sise au fond de la poitrine. La dynamique du mouvement (...) dépend à la fois de l'énergie, de la sensation et de l'humeur. Saisir avec précision l'énergie, la sensation et l'humeur de l'adversaire ... et réagir en conséquence". (13)
Yagyû parlera aussi de " fluidité perceptive".
Ce qu'il dit est proche de la fluidité sensitive qui peut s'appliquer dans toutes les relations humaines comme au combat :
Sentir le moment précédant le geste et pourtant, paradoxalement, ne rien anticiper.
Pourquoi ? Parce qu'on ne sait pas ce que va faire l'adversaire. On est dans l'imprévisible. On est en deçà ou au-delà d'une réflexion, ou d'une pensée consciente, l'esprit immergé dans le corps, à l'écoute, ouvert et centré.
Et cela pour avoir la réaction juste, sentir la "pointe de l'instant" , être capable d'anticiper sur les phénomènes : anticiper (14), c'est un mauvais terme, je dirais plutôt, sentir émerger le phénomène, l'accompagner dans son déploiement.

Cela s'applique aussi dans les relations sociales : sentir en profondeur la dynamique d'une situation et agir au moment où l'on sent la trame de cette situation, l'énergie de chaque personne en présence etc., (15) pour laisser émerger l'acte juste.
Ecoutons Takuan (16) : "quand on y est, dit-il, toute chose s'ouvre à vous à travers le corps" ou ailleurs d'une autre manière : "Percevoir l'oeuvre invisible sise en toute chose et agir directement sur celle-ci... art de la guerre à la pointe de l'instant". (17)
C'est clair.

Où commence la pensée ?
Il y a un autre niveau de pensée qui ne dépend pas d'une attention cognitive contrôlée. On voit qu'on est dans l'émergence d'une pensée non réflexive (18) de l'oeuvre invisible sise en toute chose, une pensée liée aux sensations : c'est ce qu'Erwin Strauss a développé avec la dimension du sentir.

La dimension du sentir (19) : registre du pathique

Je résume la présentation qu'en a faite J. Schotte dans un de ses séminaires.
Erwin Strauss dans Du Sens des sens, dégage la dimension spécifique de l'aisqhsiV (dimension du sentir). (20)
Le sentir se distingue radicalement du percevoir. Les sensations ne sont pas des éléments simples, des atomes qui se combinent diversement en perception. Dans cette dernière existe une relation intentionnelle et oppositionnelle à l'objet perçu. Or, pour E. Strauss, la modalité de l'opposition sujet/objet n'est pas le seul rapport au monde.
Celui qui s'instaure et se développe dans le sentir est tout autre : il est primordial, par rapport à la dimension où se dégagent et s'opposent un sujet et un objet (différenciation et discrimination cognitive de l'objet).
D'autres structures de rapport que cette opposition sont en jeu dans le sentir :
une interaction de la réceptivité sensible et de la mise en mouvement d'un "je"(d'une psyché) inscrit dans un corps vivant-vécu, foyer de sensations.
Cette interaction n'est pas à concevoir comme un rapport de causalité mais de participation-communication sensible signifiante : un état de fonctionnement qui est une motivation réciproque.
L'accent est mis sur le processus, sur l'échange et non sur la cause.

La dimension du sentir est une dimension communicative déjà signifiante
( la non-pensée n'est pas absence de pensée à partir de moment où il y a quelque chose de signifiant, donc du sens), préalable à toute objectivation (registre de la signification).
La matière dont est fait ce qu'appréhende le sentir n'est pas le sensoriel (localisé dans un organe) mais ce qu'on pourrait appeler le sensuel puisque le sentir est une catégorie existentiale qui engage un éprouvé ou ressenti global signifiant pour quelqu'un dans une situation concrète : le site où l'esprit est centré.
Cette dimension est une dimension qui dépasse le dualisme corps/psyché. Elle concerne le "je" (une psyché) dans un corps vivant-vécu comme foyer de sensations dans une "unité" dynamique avec le monde.
Unité dynamique qui n'est pas une confusion mais un processus d'échange, d'interactions non conscientisées en tant que telles entre un monde intérieur ( le vécu) et un monde extérieur (la situation).
Dans cette dimension, le rapport au temps est plus fondamental que le temps de la "montre" : c'est le temps impliqué dans le déroulement des événements, les rythmes du déploiement des phénomènes : le devenir.
Le rythme (21) est la configuration à chaque instant des phénomènes en mouvement, la forme dans l'instant telle qu'elle est assumée par ce qui est mouvant, fluide, mobile, l'apparaître et le disparaître des phénomènes.
On comprend ainsi pourquoi il n'y a pas d'absence de pensée dans la non-pensée et sur quoi repose l'acte juste : il y a du corps et des sensations, et çà, on n'y échappe pas.

L'acte et le corps

Derrière l'acte, il y a l'esprit dans le corps.
Et rien n'est séparé, on est dans une dimension de la pensée qui n'est pas thématisée, posée dans la réflexion : la dimension du sentir, dimension non-thématique de sens qui sont des articulations spatio-temporelles (22) primordiales de la situation.
Dans cette dimension, on "sait sans savoir", on pense dans la non-pensée ce qui se passe, on exécute l'acte juste mais on ne réfléchit pas, on ne passe pas par des actes de réflexions conscients pour décider de l'action. L'acte arrive à son insu.
L'acte juste est donc fondé. Il repose bien sur l'esprit.
En comprenant qu'il n'y a pas de séparation corps/psyché ni dehors/dedans, mais plutôt une sorte de resserrement des processus d'échanges, une densification dynamique des liens pour une plus grande opérationalité de l'acte. L'ensemble (en particulier les combattants en situation) est en tension dynamique.
L'Esprit de non-pensée s'ancre dans le corps, il agit le corps de manière appropriée à la situation. On est loin d'un simple conditionnement corporel : il y a de l'interne "comme on dit" dans les arts martiaux. Mettre l'esprit dans le corps : seulement ça ne se décide pas, ça vient après une longue pratique pour laquelle on accède à cette disponibilité : laisser l'esprit libre.
C'est un mode d'être-là à Soi, au corps et à une situation en fin de compte plutôt complexe.
Un mode être qu'on appelle aussi Esprit vide pour approcher le réel de la situation par l'intermédiaire du pathique (du sensuel) et réaliser l'acte juste.

L'esprit vide

On peut peut-être mieux comprendre maintenant cette idée d'esprit vide, d'un esprit libéré des entraves.
L'objectif est précis : libérer l'esprit de tout encombrement a priori, développer son potentiel naturel de pensée, pour rendre possible l'acte juste.
Pour cela il faut faire le vide à chaque instant pour avancer.
C'est-à-dire se libérer des thématisations conscientes pour ne pas interrompre le mouvement de l'esprit qui imprègne le corps : on se tient dans le sens de la situation en mettant entre parenthèses les a priori (liés au Moi, au sujet de la connaissance, aux savoirs etc.).
Cela est possible par une disponibilité sans intention, vide, disponibilité d'esprit qui ne se sépare pas de l'acte juste en situation : l'acte est l'extériorisation de cette liberté intérieure, liberté mentale, subjective détachée de la connaissance et du Moi.
Qu'est-ce qui est visé ?
La souplesse de la pensée, la capacité d'écoute, de sensibilité/sensualité, pour utiliser au mieux son esprit dans l'instant, avec efficacité.
Cet esprit vide est donc loin d'être vide. Il vise à favoriser le mouvement de
l'esprit : une pensée fluide qui épouse les phénomènes. Cet esprit est un processus : il n'est pas fixé, il est sans attachement.
L'Acte qui a jailli de cette disponibilité est l'émergence de quelque chose qui n'entre pas forcément dans des schémas de pensée prévus, un acte non décidé par avance. C'est quelque chose proche de la création.
Avec l'esprit vide, on est dans quelque chose qui approche le réel d'une situation.
La notion de "vide" nous permet de mieux comprendre cette approche du réel.
Le vide ce n'est pas le nihilisme :
"les éveillés approchent la vacuité comme l'origine même de toutes les perspectives mais ceux qui font de la vacuité une perspective ne sauraient être sauvés" nous apprend un maître bouddhiste indien, Nagarjuna.
Quand l'esprit est plein, on est dans la connaissance de la réalité (23) et tout son cortège de méprises imaginaires, pris dans un filet d'anticipation, la rationalisation, la projection...
Quand on est du côté de l'esprit vide, on s'approche du réel, au-delà/en deçà de la réalité mais la sous-tendant.
Trop d'intentions privilégient une perspective et verrouillent la possibilité d'entendre l'émergence de l'inattendu. S'il y a trop d'intentions, c'est-à-dire d'anticipations, comment le nouveau peut-il nous apparaître, être entendu et comment un acte peut-il être juste, créateur ?
L'acte s'unifie à l'esprit, au corps et à la situation ou la relation humaine dont la dynamique est imprévisible.
L'absence d'a priori, de connaissances préalables, d'intentions définies est la condition pour que l'acte soit juste.

On peut, maintenant, répondre, partiellement, aux questions posées dans l'introduction :

Quelles sont les conditions sur lesquelles repose l'acte juste ?
Comment produire un acte juste, celui qui modifie la situation, la fait basculer avant d'en arriver à l'extrême : la violence, le combat.

Par la pratique de l'esprit vide qui renvoie donc à une capacité de transformation de soi pour modifier une situation.
La pratique de l'esprit vide c'est le résultat d'une transformation évolutive de l'individu qui jaillit de l'intérieur afin d'imprégner le corps et l'esprit.
Une transformation qui vise les états psychiques, leurs modalités, la qualité d'esprit : une clarté de l'esprit pour agir avec précision et efficacité au coeur des phénomènes.
On voit que ça n'a rien à voir avec une accumulation de connaissances, d'érudition pour savoir quoi faire dans telle ou telle situation.
La pratique de l'esprit vide ne vise pas à faire des experts, ce que l'on peut considérer comme l'aspect externe de l'apprentissage, quantitatif (qui est malgré tout nécessaire). Il reste extérieur, sans efficacité si la transformation interne n'est pas là, s'il n'y a pas l'esprit.
La pratique de l'esprit vide n'a donc rien de miraculeux. C'est le résultat d'un apprentissage pour progresser dans l'éclaircissement de l'esprit. On s'y prépare et c'est long parce qu'on lutte contre ce qu'il y a de plus difficile : Soi, ses pensées, ses intentions, ses illusions, ses émotions...
C'est difficile d'arriver à cette posture psychique et corporelle : je laisse de côté les pratiques par lesquelles on peut y arriver : zen, voies martiales, psychanalyse...

Conclusion

Que gagne-t-on à cette pratique de l'esprit vide : une disponibilité... mais pas de l'ordre de la connaissance, de l'ordre de l'acte : la parole juste, le geste juste, la réaction juste au moment opportun : quelque chose qui a à voir avec les processus créatifs.
L'agir n'a plus alors la même fonction : c'est un acte, pas une action, un acte qui modifie struturalement une situation, une relation qui a quelque chose à voir avec le réel (24). L'agir a alors une fonction signifiante, il est limite au réel, c'est-à-dire structurant, constituant d'un autre registre d'échange humain.
Le réel c'est justement l'imprévisible, l'inattendu, l'énigme, l'invisible. La réalité peut s'anticiper, pas le réel. "Être éveillé, pour Lacan, c'est être exposé à ce qui est malgré tout inanticipable, le réel" (25) .
La possibilité d'une issue à la relation agressive ?
La question est posée.

Paru dans ouvrage dirigé par Jacques Pain et préfacé par Ginnette Michaud :
"Paysages et figures de la violence" chez Matrice (2003)

Notes article

1) Intervention orale, non revue et corrigée, les 7/12/2000, Université Paris X, dans le cadre du cours : Violences, Violences institutionnelles, Violences à l'école, de M. J. PAIN, professeur en Sciences de l'éducation

2) Lacan et la philosophie, A. Juranville p.85

3) Terme pour recouvrir le sens pour moi qu'il y a derrière : réaction éveillée, action immédiate, action juste et aussi pour distinguer de passage à l'acte, action en général etc.

4) Esprit de non-pensée, esprit vide, dans cette exposée je les utiliserai comme équivalent pour décrire un état d'esprit, un mode d'être source de l'acte juste. La notion de vide serait importante à analyser, je l'approcherai succinctement plus loin. Il faudrait y revenir.

5) La Voie du samouraï. p. 87

6) Ibid. , p. 91

7) Spontanéité et immédiateté n'ont rien à voir avec la vitesse

8) Logique signifiante dynamique produisant du sens qui n'est pas objet d'un savoir posé par un sujet, sens qui n'est pas l'acte d'interprétation d'un sujet sur la base d'un savoir préalable. C'est donc un sens imprévisible, inanticipable

9) Maîtrise qui ne dépend pas d'un sujet expert mais qui est appropriation du sens de la situation qui dispose l'individu à...

10) Un état d'esprit ou un mode d'être sans préjuger par avance, sans médiation "interprétative", juste être disposé à ce qui se passe, aux phénomènes (derrière opére la dynamique du réel : le temps)

11) Au-delà des dualismes corps/esprit et dedans/dehors; mais échange dynamique signifiant.

12) Takuan, La voie du samouraï p.95

13) La voie du samouraï p.106

14) Anticiper : suppose qu'on a pu prévoir sur la base d'un savoir préalable.

15) La voie du samouraï, p.107

16) Ibid., p.96/97

17) Ibid., p.106

18) Le non-thématique : une pensée qui n'est pas posée par l'acte d'un sujet conscient.

19) Le pathique réfère à une intériorité qui passe non par la raison mais par les sens. L'être de l'homme éprouve et est éprouvé dans le champ vital des sensations. Il est dans une disposition pathique. L'éprouvé global a un contenu pathique signifiant : il signifie un sens qui ne préexiste pas, inanticipable. Contenu qui n'est pas objet connaissance mais qui nous affecte, nous mobilise en nous disposant à...

20) "L'art est la vérité du sentir, le décel du fond enfoui, dont est coupée la perception objective qui refoule l'aisqhsiV ??Le mot "esthétique" a deux sens : l'un se rapporte à l'art, l'autre à la réceptivité sensible. L'esthétique-artistique est la vérité de l'esthétique-sensible, dont l'être a sa révélation dans l'être-oeuvre. La dimension significative du là, dans son état d'origine perpétuel, dans l'événement de son avènement, se donne dans un double apparaître, dont les directions de sens sont des articulations spatio-temporelles de la présence." ( souligné par nous) H. Maldiney, Art et Existence, ed. Klincksieck, p. 27

21) H. Maldiney, Regard, Parole, Espace, p. 147, 157

22) Temps du rythme et espace du paysage et non temps de la "montre" et espace euclidien ou géographique.

23) Réalité : tissée d'imaginaires, de symboliques et de bien d'autres choses; et sous-tendu par le réel (J. Oury in Le collectif)

24) Lacan, Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse

25) Lacan et la philosophie, A. Juranville p.85


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