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Si ça s'trouve... l'attente

catherine podguszer

 

 

"Par le mécanisme de notre aide, nous donnons [au patient] la représentation d'attente consciente d'après la similitude de laquelle il découvre pour lui la représentation inconsciente refoulée"
[...]

"Tout individu auquel la réalité n'apporte pas la  satisfaction entière de son besoin d'amour se tourne inévitablement, avec un certain espoir libidinal, vers tout nouveau personnage qui entre dans sa vie et il est alors plus que probable que les deux parties de sa libido, celle qui est capable d'accéder au conscient et celle qui demeure inconsciente, vont jouer leur rôle dans cette attitude".

S. Freud, La technique psychanalytique.

 

 

L’attente est une représentation d’image, de sensation qui mène à la frontière de l'espoir et du désespoir. Elle désigne l’action de rendre quelqu’un (ou quelque chose) présent en soi, en lui substituant une construction archaïque le plus souvent et imaginaire.  L'attente peut alors faire inconsciemment obstacle à la possibilité d’une réelle rencontre avec l’autre, les autres, aussi différent de soi que singulier.

Laetitia Masson[1]  dans son film "A vendre", mène l’enquête sur cette Autre qu’est une femme pour un homme. Pierre, dit l’Indien, charge Luigi Primo, détective, de retrouver France Robert, disparue depuis le jour de leur mariage.  N’était-elle intéressée que par son argent emporté dans sa fugue ? Il ne peut et ne veut surrtout pas y croire. L’Indien a rencontré France Robert à Marseille.  Elle n’avait plus d’argent. Elle cherchait un travail. Il lui propose de l’embaucher et de l’héberger. Elle accepte ce travail à la condition de lui payer un loyer. Dès leur rencontre, l’Indien a la certitude qu'Elle: « est comme nous… Elle sait ! »…Luigi possede comme seuls indices pour son enquête le nom du lieu de son village natal en Champagne et que ses ses parents morts ! Il y retrouve pourtant ses parents, plus survivants que vivants, certes, mais pas morts. Il se dit qu’ils devaient probablement être morts pour elle… Leurs réponses aux question de Luigi sont laconiques, désaffectées, consensuelles. Leur seul soucis semble être l'avenir de leur ferme si leur fille ne revient jamais. Ils sont figés dans une attente improbable de l'objet-fille plus utilitaire qu'humain. Ils peuvent l'attendre longtemps puisqu'ils sont déjà morts pour France Robert. Elle leur a adressé pourtant chaque mois de l'argent par mandats pour les rembourser de la somme prêtée pour son départ.  Au mur il aperçoit une photo d'elle faisant de la course à pieds... Qui est France Robert?

 

La piste des mandats le mène à Roissy, où elle a travaillé dans un supermarché. Le témoignage d’un employé de banque -qu’elle aurait séduit- le conforte dans l’hypothèse qu’elle devait être une « arnaqueuse ». En suivant les traces de France Robert, Luigi arrive à Paris là où son ex-femme vit maintent  avec un autre homme et un enfant. Il replonge dans un passé qu’il a voulu fuir. Il se demande pourquoi "les" femmes quittent sans prévenir. Pourquoi s’échappent-elles ? A quoi sert d’aimer ? Son ex-femme et France Robert se superposent, s’entremêlent en lui et le hantent.  Il découvre alors que France a été femme de chambre chez un couple. La maîtresse de maison en parle d’une façon trouble : son mari lui aurait donné de l’argent et l’emmenait à l’hôtel. Le mari est fuyant, injoignable. France Robert : femme de ménage ? prostituée ?  Luigi mène maintenant une double enquête. Il cherche à comprendre ce qui lui est arrivé, à lui, et pourquoi les femmes trahissent  ? Les pistes le conduisent à Grenoble, dans une entreprise de vente de mobilier sur catalogue. Un employé lui apprend que France lui avait offert de l’argent, juste pour passer un moment avec elle. Puis, elle avait disparu…. Le puzzle se recompose, mais l’énigme reste entière.  Qui est vraiment France Robert ? Après quoi court-elle de villes en villes ?  Etait-elle si seule, si désespérée ? Luigi est sur les traces de France, mais c’est maintenant elle qui le poursuit, intérieurement. Pour mieux la comprendre et comprendre "les" femmes à travers elle, il se met à sentir ce qu’elle a dû selon lui éprouver. Il devient France Robert...

 

Un soir, de retour à Marseille, Luigi l’aperçoit. Des hommes l’interpellent, elle s’apprête à monter dans une voiture. Va-t-elle franchir le pas entre les fantasmes qu'il a construit sur elle et la réalité ? Il s’interpose pour la ramener à « l’Indien ». Elle refuse. La situation se précipite, comme s’ils étaient les marionnettes d’une histoire déjà écrite. Une attraction irrésistible les pousse l’un vers l’autre. Ils finissent par faire l’amour sous un porche et, en retour, il lui donne de l’argent. Il pense qu’il a tout cassé pour que l’Indien n’ait pas eu à le faire. Il comprend maintenant son ex-femme et les autres. Il se sent lui aussi un monstre. Luigi rencontre enfin l’autre de lui-même, sa partie obscure. Etait-ce ce qu’elle savait et qu’il était supposé savoir ? Il reprend à  France l’argent volé pour le restituer à l’Indien. Il la laisse partir vers son rêve, l’Amérique, en lui donnant son numéro de téléphone. Elle erre dans les rues de New York, sans argent, sans travail. A Marseille Luigi se demande ce qu’elle fait, si elle va lui téléphoner.  De son côté, France en est réduite à faire la manche dans la rue. Une femme lui propose de faire son portrait contre de l’argent. Elle emportera son portrait pour le donner à « quelqu’un » et refusera l’argent. Etait-ce une image d’elle,  viable, qu’elle retrouvait enfin et qu’elle pourrait donner aux autres, enfin? Elle réalisera que ce qu’elle cherche en vain, de villes en villes n’est  pas non plus sur ce continent, ni dans aucun autre lieu géographique. Elle téléphonera à Luigi, lui demandera si ce n’est pas trop tard. Il lui répondra "Je vous attends"…  

Personne ne peut arriver à combler l’attente construite, en imagination, sur une relation première qui n’a pas eu lieu, ou qui n’a pu se réaliser de façon satisfaisante.  Lorsqu’un enfant isolé, ou mal accueilli, attend désespérément un contact avec son entourage pour survivre, peut halluciner peut alors un "bon" parent. Cette création imaginaire calmera son angoisse en favorisant paradoxalement un besoin toujours plus avide. Besoin et désir seront confondus et la capacité à désirer un(e) autre, possible dans la réalité, est rendue impossible imaginairement. Pas de place pour cet autre puisqu’elle est déjà imaginairement comblée, par un "autre" idéal, halluciné, inatteignable. L'attente fantasmée d'une rencontre hypothétique et à chaque fois différée.

Dans ce cercle fermé sur lui-même, la sensation d’exister reste en souffrance, fixée dans l’expectative. Cette souffrance met en relief, ou pire peut induire, une attente sans fin dont la réalité reste déniée. C’est notre propre désir de vie que toute souffrance met en attente. Seule la traversée du miroir des apparences, troublée par cette faim avide d'amour d'un tout autre temps, celui de l'enfance, réactive l'enjeu du désir réel non pas "A vendre"... mais à retrouver en soi. Le risque de la déception pourra alors être pris au regard de son idéal vers le chemin de la découverte de l'inatendu.

 

 

catherine podguszer
novembre 2007

 à lire ou relire:

Michael Balint, Le défaut fondamental, Payot, Paris, 1968.

Sándor Ferenczi, « L’enfant mal accueilli et sa pulsion de mort », Ouvres complètes IV, Payot, Paris, 1982.


[1] Laetitia Masson,  À vendre, France, 1998.