psychanalyse In situ
Hiérarchie et transfert: l'héritage freudien
Jacques Letondal
INTRODUCTION :
Citons tout d'abord René Major
dans son appel aux États Généraux de l'an 2000:
" ... malgré sa force et
sa vitalité nettement affirmées en cent ans d'expérience,
il est dans la nature même de la psychanalyse - et de la
mise en acte de l'inconscient - de susciter de constantes résistances.
Rien n'y échappe. Et les institutions psychanalytiques
qui se sont créées pour préserver l'héritage
freudien et promouvoir la recherche analytique ont souvent engendré
des rigidités qui vont à l'encontre du but qu'elles
poursuivent. L'institution est appelée à être
conservatrice et la démarche analytique, au contraire,
à être novatrice, voire subversive. Un équilibre
entre ces tendances opposées et les inévitables
tensions qu'elles soulèvent est loin d'être aujourd'hui
préservé. Le pouvoir qui se développe au
sein des institutions repose trop souvent sur le manque de résolution
des transferts, sur l'allégeance à une idéologie
dominante et à son code langagier, qui servent plutôt
à préserver les contrôles sociaux et bureaucratiques
qu'à ouvrir de nouvelles frontières à la
recherche et à l'extension de nos connaissances. L'action
des organisations pour corriger ces déséquilibres,
lorsqu'elle se manifeste, reste le plus souvent au service de
l'institution."
L'HISTOIRE DES ORIGINES...
Nous voudrions, en effet, mettre en lumière
une contradiction des institutions psychanalytiques, déjà
présente dans la 1ère Société créée
par Freud. Tout se passe comme si Freud, qui critique de façon
radicale les fondements de deux sociétés types
de notre civilisation (l'armée et l'église ), ne
pouvait cependant trouver d'autre modèle, conservant la
fidélité au fondateur, l'allégeance à
un seul chef, l'unité de doctrine, le rejet des dissidents,
ce qui signifie, sur un plan psychanalytique, l'identification
au chef pris comme objet d'amour, tenant pour chacun la place
de l'idéal du moi.
En effet, qu'advient-il lorsque l'analyse elle-même perdure,
et que, loin de conduire à la dissolution du transfert,
elle maintient la relation transférentielle sous forme
de "contrôles" de "seconde tranche"
et d'appartenance à une société psychanalytique
dont les "maîtres" sont l'unique et ultime référent
théorique, le modèle de tout analyste possible?
Et, aussi, quelle transmission?
Nous voudrions évoquer très brièvement (voire, lacunairement) les incidences de cette question sur l'histoire
de Freud et du mouvement psychanalytique. Nous ne pouvons actuellement
que présenter un projet d'étude plutôt qu'une
étude achevée, même s'il existe un certain
nombre de travaux épars ( nous nous référons à
François Roustang et à Paul Roazen ).
Il faut aussi évoquer la question
de la légitimité de la démarche historique
dans une histoire de la psychanalyse . Nous pensons qu'elle est
incontournable, même si le psychanalyste, à son
tour doit interroger l'historien sur la complexité des
évènements dont il parle et sur la fragilité
des témoignages sur lesquels il s'appuie.
1) Il y a , tout d'abord la phase que
l'on pourrait dire solitaire, de Freud, qui va environ de 1895
à 1902 ou 1905: c'est la phase de la découverte,
de la mise en place de la cure et de la publication d'ouvrages
fondateurs sur l'hystérie, sur le rêve, sur la sexualité,
bien sûr, sur l'inconscient et ses mécanismes qui
apparaissent même dans la vie quotidienne. Freud dira au
début de son "Histoire du mouvement psychanalytique":
" La psychanalyse est ma création : pendant dix ans,
j'ai été le seul à m'en occuper ".
2) De 1902 à 1908 : du groupe
intime à la Société Psychanalytique de Vienne.
( cf. Roazen, " La saga freudienne ", pp. 113-116)
En 1902, ils sont 5 "intimes", dans la salle d'attente
de Freud . En 1906, ils sont 17. A partir de 1910, il y a réunion
des "admis" à l'univesité dans la salle
de l'Ordre des médecins ( Freud s'est vu reconnaître,
enfin , le titre de "Professeur extraordinaire" ).
Freud se réjouit de voir arriver, progressivement les
"étrangers": Ferenczi, les suisses ( Eitington,
Jung ), Karl Abraham ( Berlin ), Ernest Jones l'anglo-Saxon,
...
A propos des réunions du Mercredi soir, chez Freud, Max
Graf écrit : " Il y avait dans cette pièce
une atmosphère rappelant la fondation d'une religion..
Les élèves de Freud étaient ses apôtres... Si
bienveillant et attentionné qu'il fût en privé,
Freud était dur et impitoyable quand il présentait
ses idées." Ce témoignage est atténué
par les nombreux témoins qui soulignent la persuasive
éloquence de Freud qui dominait les discussions.
Freud citait ses élèves , mentionnait leur travaux.
Mais la psychanalyse restait son royaume privé. Après
avoir cité ses élèves, il s'assurait qu'il
ne pouvait y avoir de malentendu en matière de priorités
: "Mais ces publications n'ont fait que confirmer mes vues
et n'y ont rien ajouté. " Questions : "Devait-il
en être ainsi?"; et , puisqu'il en fût ainsi,
alors : "Quelles conséquences sur l'institution psychanalytique?".
COMMENT LES DISCIPLES S'EN SONT SORTIS
...
Dans les disciples immédiats :
mentionnons Otto Rank, Wilhem Stekel, Victor Tausk, Sandor Ferenczi,
Carl Gustav Jung, Georg Groddeck, Wilhem Reich , ... Tous différents,
chacun demanderait une analyse nuancée, mais aucun n'a
pu vraiment trouver sa place auprès de Freud jusqu'à
la fin.
Nous évoquerons brièvement
les cas de Tausk, de Rank et de Ferenczi. Ces évocations
ne sont évidemment que des invitations à étudier
plus amplement et plus en profondeur ces " histoires de
disciple ".
A - Victor TAUSK ( 1879-1919 )
Tausk est né en Croatie. C'est
un homme qui a des talents variés et qui aime la liberté.
Il fut juriste, écrivain, critique, violoniste, dessinateur.
Il écrit à cette période : "La manière
dont je vis à présent est vraiment la meilleure;
indépendant parceque personne ne dépend de moi,
sans être esclave parce que je ne suis pas un maître
".
A 25 ans, c'est un homme en détresse
et il se tourne vers Freud. Il déménage à
Vienne en 1908. Tausk étudie la médecine et la
psychiâtrie. On lui reconnaît des apports durables
en psychanalyse ( sur la psychose, le vol des pensées,
etc. ), reconnus par de nombreux disciples (comme Bettelheim
ou Erickson ). En 1912 Tausk fait la connaissance de Lou Andréas
Salomé et en devient amoureux. En 1913 et 1914 , il y
a le triangle : Freud - Lou - Tausk, triangle que chacun trouve
avantageux mais néammoins triangle infernal. Car Tausk
agace Freud. Et pourtant Tausk est un "fidèle"
; ainsi il défendra Freud contre Adler.
De manière caractéristique, Freud désirait
transcender les anciennes limites du savoir. Mais il estimait
que Tausk s'emparait prématurément des problèmes.
Le travail de Tausk irritait Freud surtout par son originalité.
Assez étrangement, Tausk semblait capable d'anticiper
les formulation mêmes de Freud ( d'où le sentiment
du "vol des idées ).
Freud surveillait donc Tausk par l'intermédiaire de Lou.
Puis, en 1918, Tausk demande une analyse à Freud ; mais
Tausk incommodait Freud ; la réponse de celui-ci fût
négative. Il suggère à Tausk de faire une
analyse avec Hélène Deutch, sa patiente depuis
trois mois ; c'était flatteur pour elle mais insultant
pour lui.
Tausk accepte donc d'aller en analyse six fois par semaines sur
le divan d'Hélène Deutch. Mais Tausk ne parle que
de Freud et, sur le
divan de Freud, Hélène Deutch ne parle que de Tausk.
Freud explique à Hélène Deutch que Tausk
est un obstacle à sa propre analyse. Elle doit choisir.
Pour Hélène Deutch, ce n'était pas un choix
mais un ordre. La cure de Tausk cessa immédiatement.
Mécontent de dépendre ainsi de Freud , et en outre
incapable de conclure son mariage avec sa fiançée
( Hilde Loewi ), Tausk se suicide le 3 Juillet 1919.
Evidemment , l'évocation de cette
histoire ne doit pas prêter à anachronisme.Les premiers
analystes, Freud compris n'avaient pas encore conscience de la
puissance du transfert, tout au plus , pour eux, une forme de
résistance à la cure !
(1) On peut se référer
à l'ouvrage de Paul Roazen, "Animal, mon frère,
toi", l'histoire de Freud et Tausk, Payot, Paris, 1971.
B - Otto RANK ( 1884-1939 )
Otto Rank tient une place exceptionnelle
parmi les disciples de freud.
Il est d'origine sociale très modeste et ouvrier. Il se
trouve dans une école professionnelle quand en 1906, à
22ans il est présenté à Freud par Adler
qui est son médecin.
Freud va patronner ses études secondaires et universitaires.
Rank devient un secrétaire zélé du petit
groupe de disciples ainsi qu'aide et collaborateur de Freud.
Il devient assez rapidement très érudit, toujours
soutenu par la générosité et la confiance
de Freud. Il sera Rédacteur de la revue Imago et de la
"Zeitschrift". Un été, Anna étant
malade, c'est lui qui la remplacera comme compagnon de vacances.
En 1918, il épouse Tola.
Il sera même dit que Rank serait un "successeur idéal"
de Freud.
Rank a des idées personnelles et une recherche autonome.
Pour Rank, "l'essence de la vie est la relation entre la
mère et l'enfant ", liens reproduits dans le mariage.
En 1923, il publie "Le traumatisme de la naissance",
qui est bien accueilli par Freud. Rank se considérait
d'ailleurs comme fidèle à la pensée de Freud. Presque en même temps , il publie avec Ferenczi " Le
développement de la psychanalyse" ( traduit "
Perspectives de la Psychanalyse ", dans les Oeuvres complètes
de Ferenczi Tome III, pp 220-236 ). Le sous-titre est : "Sur
l'interdépendance de la théorie et de la pratique
". Dans cet ouvrage, les auteurs montrent une grande attention
au contre-transfert ( non encore désigné ainsi
), à l'interaction analyste-patient, aux incidences quotidiennes
de la cure et des séances ( alors que Freud reste centré
sur la remémorisation), à l'usage thérapeutique
du passage à l'acte comme revécu émotionnel
du passé.
Freud a toujours voulu respecter la personnalité de Rank.
Il voulait "garder" Rank et le laisser élaborer
ses idées,; mais Rank fut victime d'autres disciples qui
se donnèrent, en partie inconsciemment, le rôle
d'inquisiteurs et de chasseurs de sorcières. Karl Abraham
et Ernest Jones n'eurent de cesse de dénoncer les "déviations"
de Rank ( aussi à coup de diagnostics sur la personnalité
de Rank ). C'est là un aspect important du problème
"hiérarchie et transfert". La rivalité
des disciples débouche sur des tentatives visant à
éliminer des soi-disant favoris par l'exclusion, l'excommunication,
...
Freud est dépassé par ce genre de phénomène
et ne sait plus que penser ; il écrit en 1924 : "
Je ne comprend tout simplement plus Rank... Quel est le véritable
Rank , celui que j'ai connu pendant quinze ans ou celui que Jones
me montrait depuis ces quelques dernières années
?". N'y a-t-il pas des abîmes dans cette dernière
phrase, concernant l'ambivalence, le transfert et le contre-transfert?
Le cancer de la mâchoire de Freud avait précipité
les choses. Rank chercha son autonomie. En 1924, il accepta une
invitation de six mois aux États-Unis. Il se mit à faire
des voyages entre Vienne, Paris et New-York. Il répondit
aux besoins de formation des psychanalystes new-yorkais et y
trouva des avantages financiers. Il exerça surtout à Paris
et à New York; il s'attacha à pratiquer des analyses
plutôt brèves.
Quel fut le rôle de sa femme Tola ( installée à
Paris) dans la fracture avec Freud ? ( ce ne fut pas une rupture,
Rank se considéra jusqu'au bout comme disciple de Freud
) En tous les cas, Rank prend ses distances avec Tola. Il essaye
aussi de justifier sa prise d'indépendance : traumatisme
dû " à la grave maladie du Professeur",
"état "maniaque" pour s'épargner
la douleur d'une perte"...
Un mois après la mort de Freud,
Rank mourut subitement à l'âge de 55 ans ; il aurait
succombé par réaction allergique à un médicament
au souffre. Il venait de se marier avec une collaboratrice hors-pair,
qui avait traduit ses écrits. Il était heureux
, avait terminé un nouvel ouvrage et devait s'installer
en Californie !
C - SANDOR FERENCZI ( 1873-1933 )
Parler de la relation Freud-Ferenczi
est à la fois plus facile et plus difficile, précisément parce que nous avons à faire à deux immenses penseurs
et aussi parce que nous disposons d'une masse de documents et
de travaux.
Il s'agit d'une longue relation de plus de vingt ans ; ils ont
échangé 1236 lettres ; ils se sont rendu visite
à plusieurs reprises. Ferenczi a fait trois tranches d'analyse
avec Freud .
Freud admire et aime Ferenczi plus que tout autre . Et pourtant
ils sont très différents. Ferenczi est plus fantaisiste,
plus brillant, plus passionné ; il a des problèmes
avec les femmes. Mais Freud s'efforce de respecter cette différence
; il le traite parfois de manière assez paternelle comme
s'il s'agissait d'un adolescent en crise.
A partir de 1923 Ferenczi commence à marquer sa différence.
Roazen dit que le problème central entre Freud et Ferenczi
fût la question de la pratique en technique psychanalytique.
En réalité, il s'agit d'une question beaucoup plus
profonde ; il s'agit de la question du contre transfert dans
l'analyse ; il s'agit aussi de la place de la mère dans
le vécu premier de l'être humain; il s'agit, enfin,
du rôle du revécu, des émotions et des traumatismes
dans la cure.
A propos du livre que Ferenczi publia avec Rank, " Le Développement
de la Psychanalyse" dont nous avons déjà parlé,
Freud exprima des réserves qui touchèrent beaucoup
Ferenczi . Freud lui écrivit donc le 4 Février
1924 pour le rassurer :
" Maintenant, en ce qui concerne votre effort de rester
entièrement et toujours en accord avec moi, je l'apprécie
au plus haut point comme expression de votre amitié, mais
je trouve ce but ni nécessaire ni facile à atteindre.
Je sais que je suis difficilement accessible et que, tout d'abord,
je ne peux rien faire des idées étrangères
qui ne se trouvent pas complètement sur mon chemin. Il
faut un bon moment avant que je puisse me faire un jugement à
leur sujet et, entre temps, je dois garder mon jugement "in
suspenso". Si vous vouliez attendre aussi longtemps à
chaque fois, c'en serait fini de votre productivité. Cela
ne peut pas marcher ainsi. Que vous-même et Rank, lors
de vos échappées indépendantes abandonniez
un jour le sol de la psychanalyse, cela me paraît quand
même exclu. Alors pourquoi n'auriez vous pas le droit d'essayer
de voir s'il n'y a pas quelque chose qui fonctionne autrement
que je ne l'avais pensé. Si vous vous êtes égaré,
vous finirez par vous en apercevoir vous-même, ou bien
je prendrai la liberté de vous le dire dès que
j'en aurai la certitude moi même. " Correspondance
T. III, 1920-1933, pp 142-143,Calmann-Lévy, 2000.
Cette lettre montre bien le mélange de confiance, d'ouverture,
mais aussi de méfiance chez Freud ( sous le couvert de
précaution scientifique ?! ).
Mais les années vont passer et
les adversaires de Ferenczi vont faire leur travail de sape auprès
de Freud.
Et puis ce fut le choc de 1932. Ce fut
le fameux article intitulé: " Confusion de langue
entre l'adulte et l'enfant ".
Eva Brabant-Gerö résume ainsi le contenu de cet article
qu'elle appelle "sa dernière conférence":
" Le contenu de sa dernière conférence, faisant
date à la fois dans l'histoire du mouvement analytique
et dans l'histoire de ses rapports avec Freud, traite de la passion,
"langage" spécifique aux adultes, et de la tendresse,
expression la plus représentative des enfants. Les rapports
entre les deux se déroulent sous le signe de la séduction,
et de "l'identification à l'agresseur". Les
expériences de l'enfant peuvent être d'autant moins
verbalisées qu'elles seront suivies par une véritable
conspiration du silence, à laquelle participe le plus
souvent la mère. Les scènes de séduction
ne sont jamais évoquées avec précision dans
la cure en raison d'un processus de clivage. La victime se comporte
par la suite comme si sa personnalité n'était composée
que du "ça" d'une part et du "surmoi"
de l'autre, le "moi" médiateur lui faisant complètement
défaut. La conférence s'achève par un appel
pathétique que Ferenczi adresse à ses collègues
:
" Je serais heureux si pouviez prendre la peine de vérifier
tout cela, sur le plan de votre pratique et de votre réflexion,
si, aussi, vous suiviez mon conseil d'attacher dorénavant
plus d'importance à la manière de penser et de
parler de vos enfants, de vos patients et de vos élèves,
derrière laquelle se cachent des critiques, et ainsi leur
délier la langue, et avoir l'occasion d'apprendre pas
mal de choses ." (Eva Brabant-Gerö, Ferenczi et l'ecole
hongroise de psychanalyse, L'Harmattan, 1993 )
Pour évoquer l'impact de ce texte
sur Freud et sur le mouvement analytique, je voudrais maintenant,
ici, laisser la parole à un psychanalyste new-yokais,
Jay Frankel dans un article intitulé : " La Découverte
impardonnable de Ferenczi : comment son concept d'identification
à l'agresseur continue de subvertir le modèle thérapeutique
de base." ( traduction à paraître en Septembre
2003 dans la revue "Le Coq-Héron" no 174 ) :
" On raconte que lors de la visite de Ferenczi à
Freud au 19 de la Bergstrasse, le 30 Août 1932, pour lui
lire ce qui s'est avéré son dernier article, "
Confusion de langue ", qu'il s'apprêtait à
prononcer au congrès de Wiesbaden, Freud en a été
si bouleversé qu'il refusa ensuite de lui serrer la main.
Quelques jours plus tard, Freud écrivit à sa fille
Anna :
"... je l'écoutais, choqué. Le processus de
régression où il est engagé le porte à
entretenir les vues d'une étiologie à laquelle
j'ai cru, mais que j'ai abandonnée il y a trente -cinq
ans: à savoir que les névroses sont couramment
causées par des traumatismes sexuels subis dans l'enfance."
Eitingon, qui avait organisé le congrès, voulait
empêcher Ferenczi de présenter sa conférence,
et Freud le "supplia" de ne pas la lire; cependant,
Ferenczi la présenta. Toutefois Freud demanda à
Ferenczi de retarder la publication d'un an., espérant
que de nouvelles réflexions le feraient revenir sur certaines
de ses idées erronées. Après la mort de
Ferenczi au mois de Mai suivant, Jones empêcha la publication
de l'article dans le Journal International où elle avait
été programmée, et l'article n'a pas été
publié pendant 16 ans, jusqu'en 1949. Une fausse rumeur
a été répandue, publiée comme un
fait dans la biographie de Freud par Jones ( 1957 ), selon laquelle
Ferenczi aurait été atteint d'une maladie mentale
; il y suggérait que son oeuvre tardive n'était
qu'un produit de sa maladie.La rumeur persiste jusqu'à
ce jour. Michael Balint fit remarquer que pour plus d'une décennie,
le sujet de la "Confusion de langue"- trauma, régression
et contre-transfert - ainsi que son auteur, avaient été
bannis du discours psychanalytique."
"Alors, qu'a donc écrit
Ferenczi qui soit si "politiquement incorrect"? Était-ce
d'avoir ravivé les idées abandonnées par
Freud concernant l'étiologie traumatique de la névrose
? C'était là le reproche fait par Freud, cependant
pas entièrement justifié. Etait-ce, comme Masson
(1994) le soutient, l'insistance de Ferenczi sur l'idée
que l'abus sexuel des enfants était beaucoup plus répandu
que ses contemporains voulaient le reconnaître? Était-ce
son intérêt pour la valeur thérapeutique
de la régression, comme Balint l'affirmait? Était-ce
le fait qu'il accusait les analystes de ne pas être vraiment
bienveillant à l'égard des patients, et même souvent,
de leur infliger de subtils traumatismes ?
A toutes ces questions on peut répondre "oui"...Et
même aujourd'hui, ses idées continuent à
questionner nos convictions de base concernant la technique.
" ( et au delà...)
Mais ici nous quittons l'histoire et nous vous renvoyons aux
écrits théorico-clinique de Fabio Landa , de Michel
Juffé, et de Jay Frankel.
Au congrès de Wiesbaden, Ferenczi était déjà
gravement malade; il souffrait d'une anémie de Biermer,
incurable à cette époque.
Freud et Ferenczi restèrent chacun sur leur position;
Ferenczi ne voulut pas renoncer à publier son article.
Freud continua à lui donner tord, lui disant aimablement
: " Je suis convaincu que vous êtes inaccessible à
la réflexion ". Après Octobre 1932 , ils n'en
discutèrent plus. Ils échangèrent une huitaine
de lettres amicales, de vœux de bonne année, etc. Ferenczi
conseilla à Freud de quitter l'Autriche pour l'Angleterre,
pour échapper au danger nazi , danger que Freud méconnaissait
sérieusement. La dernière lettre de Ferenczi (
4 Mai 33 ) est pour souhaiter à Freud un bon anniversaire
. Ferenczi meurt le 22 Mai 1933 .
Terminons cette évocation des
disciples en rappelant que Roazen, l'auteur de " La saga
freudienne " ( tragédie de l'ingratitude pour certains,
destin si funeste pour d'autres ) insiste sur le climat de création,
de foisonnement d'idées, de tâtonnements inévitables
de la pratique des premiers analystes, dans lequel baignaient
Freud lui-même ainsi que ses disciples. Nous avons à
faire, non à un homme seul, même s'il fut le premier
( car il a lui-même des dettes vis à vis de ses
contemporains et de certaines de ses sources ), mais à
une pléiade d'explorateurs, dont les expériences
et les oeuvres sont pour nous un enseignement. Peut-être
éviterons nous ainsi de faire de la psychanalyse une religion,
de Freud un dieu et de nos maîtres ses prophètes
!
DE LA DIFFICULTÉ D'ÊTRE
DISCIPLE ...
Que devient le transfert dans le fonctionnement
institutionnel ?
Transfert et transmissibilité de la psychanalyse ( de
la théorie ! ).
Alors ? Quelle transmission possible
?
Disons ( en s'inspirant des formulations de François Roustang)
qu'il n'y a pas de transmissibilité possible de la théorie
analytique en dehors de l'exercice de la psychanalyse ; et nous
voulons proposer ici deux postulats à la transmission
de la théorie analytique :
1) Il y a psychanalyse possible lorsque le psychanalyste a "oublié"
la théorie. Mais l'oubli du savoir est corrélatif
de la tentative de théorisation, qui vient à son
heure et toujours à travers un long passage où
le psychanalyste, parce qu'il est pris dans le transfert à
un point qu'il ignore, ne sait plus où il en est ( absence
de maîtrise ).
2) La situation d'élève est contradictoire avec
celle d'analyste. L'élève est celui qui écoute
le maître, reçoit de lui, comprend, illustre, développe,
prolonge la théorie du maître, mais s'interdit toute
nouveauté, toute mise en question et toute refonte. La
pratique de l'analyse se situe au delà de cette "étape"
! La théorie analytique n'existe qu'au temps de l'invention
dans l'exercice de la psychanalyse. Il ne peut y avoir de théorie
analytique que dans l'après coup !
Évidemment le problème
de la hiérarchie mettant en échec le fonctionnement
démocratique est un phénomène humain présent
dans toute institution , y compris psychanalytique; mais il apparaît
que dans l'institution psychanalytique nous sommes en présence
d'une difficulté spécifique, d'une contradiction
liée au statut épistémologique de la psychanalyse.
L'histoire des institutions psychanalytiques
nous fourniraient d'innombrables exemples de conflits d'autorité
et d'orthodoxie comme il y en eu à cette aube du mouvement
psychanalytique ; il y eût même quelques morts...
Mais, aussi, des psychanalystes tentèrent d'ouvrir la pensée psychanalytique à des débats,
à des échanges entre les diverses école
qui s'étaient séparées, scindées
au cours du 20ème siècle. En France, le mouvement
"Confrontation" publie ses premiers Cahiers au printemps
1979. Le Collège de psychanalystes est fondé en
Novembre 1980 ; l'expérience du Collège se terminera
abruptement au printemps 1994 ! Il y a là riche matière
à réflexion historique.
Les Etats généraux de la psychanalyse ne sont -ils
pas un nouveau moment pour ouvrir la psychanalyse à une
réflexion sur elle-même, sur sa diversité,
sur ses rapports avec les sciences, la philosophie et la culture,
ainsi que sur sa relation avec le monde contemporain, dans l'échange
avec tous les mouvements psychanalytiques et tous les praticiens
de la psychanalyse ?.....
Jacques LETONDAL
jletondal@noos.fr
exposé lors de la
journée
Axes et Cibles Analytiques