Lettre persane à Monsieur Sarkozy

 

« Me permettez-vous, dans ma gratitude pour le bienveillant accueil » que la France, terre de libertés m'a fait, de vous faire part de quelques réflexions concernant la situation intérieure de ce pays chéri de moi entre tous et de vous adresser cette lettre persane.

En effet, quelle n'est pas ma stupéfaction d'entendre ces jours-ci beaucoup de Français, ainsi que la presse internationale, cette perfide, dire que la France vivrait ses derniers jours de démocratie parce qu'ils craignent que vous accéderiez à la présidence de la République. Ils appuient leurs dires sur les différentes actions que vous auriez menées, en tant que membre du gouvernement. Ils ne comprennent pas, ces sots ! que bien au contraire, votre méthode devait servir d'exemple à toutes les dictatures et les prédateurs de la liberté qui sévissent en ce monde !

En effet, imaginez qu'en Irak par exemple, un directeur général des rédactions ait laissé publier une photo sur la couverture de son magazine, de Madame Saddam Hussein et son ami ; bien évidemment, Saddam Hussein aurait exécuté le responsable, arrêté et torturé l'ensemble de la rédaction et jusqu'au dernier ouvrier de l'imprimerie. Mais sous votre règne, Monsieur Sarkozy, vous avez eu l'immense bienveillance et l'exemplarité, de ne faire que licencier le directeur général des rédactions. Pour cela, je tiens à vous exprimer ma gratitude. Merci Monsieur Sarkozy.

Imaginez en Iran, qu'un éditeur ait publié un livre de révélations sur la famille du guide suprême, nous ne verrions plus ni éditeur, ni écrivain, ni distributeur, ni même vendeur à la criée ; tous auraient été emprisonnés, brutalisés, assassinés sauvagement sans autre forme de procès. Or ici, en France, dans la même situation, sous votre règne,vous avez eu l'immense gentillesse et bienveillance de ne faire qu'interdire la parution du livre concernant votre famille en ayant recours à des méthodes qui sont beaucoup plus civilisées. Merci Monsieur Sarkozy.

Là où les dictateurs agissent de manière ostentatoire, vous avez la délicatesse et générosité d'oeuvrer discrètement, en petites touches raffinées. En France, depuis que vous avez accédé au pouvoir de votre ministère et que vous aspirez au pouvoir suprême de la Présidence, l'apparence est sauve. Vraiment, grâce à votre attachement à l'humanité, la France devient un véritable modèle à suivre pour les dictatures : il existe d'autres moyens de répression, que le recours à l'arrestation, la torture, l'exécution des libres penseurs. Oh combien de vies vous sauvez ainsi! Merci Monsieur Sarkozy.

Là où, la Russie de Poutine, ou la Chine, assassine les journalistes, empoisonne, fait disparaître qui osent élever la voix par des hommes de main encagoulés devant chez eux, votre décision d'oeuvrer pour l'interdiction d'un livre décortiquant vos actions, écrit par un magistrat, est la marque d'un profond élan du coeur envers son auteur, que vous n'avez ni empoisonné, ni assassiné. Oh, combien le monde aurait un autre visage si les dictatures avaient suivi l'exemple de votre bienveillance envers ce magistrat . Merci Monsieur Sarkozy.

Là où j'ai vu des dictateurs faire arrêter, tabasser, emprisonner l' auteur de caricatures politiques qui avait usé de son humour pour les représenter, vous vous êtes encore une fois démarqué. Loin de tous ces actes de barbarie, vous avez simplement demandé à rencontrer le caricaturiste, auteur de l'outrage contre vous, pour un échange de points de vue ! Si l'auteur a décliné votre invitation avec force de scandale, il ne s'est pas rendu compte quel sort lui aurait été réservé dans « l'autre monde » où l'on aurait brisé sa plume et son doigt avec. Merci Monsieur Sarkozy.

Je voudrais vous saluer pour l'ensemble de vos actions qui tendent à laisser en liberté et en vie, ces libres penseurs, ces journalistes qui auraient certainement une fin tragique en Corée du Nord, en Irak, en Iran, en Russie, en Chine et dans plein d'autres pays sinistrement réputés.

Nombreux sont ceux qui prirent comme moi, le chemin de l'exil vers cette terre d'accueil qu'est la France, fuyant la répression subie dans leur pays. Tel fut, sans doute, la route prise par votre père qui trouva refuge dans ce berceau des libertés, vous permettant d'atteindre de hautes fonctions. Grâce à vos actions, marques d'une profonde bonté, vous avez montré combien vous êtes attaché à ces valeurs de liberté, combien vous savez rejeter toutes ces méthodes radicales d'assassinat, d'emprisonnement et de terreur.
 

Je tiens ici, très solennellement, à vous féliciter de l'efficacité de ces méthodes, qui ont emmené une grande partie de mes collègues journalistes, penseurs, à s'anesthésier, à ne plus oser prendre leur plume, s'auto censurant avant même que vous n'ayez matière à intervenir.

Citoyen français, journaliste et homme libre, j'ai pris mon appareil photo comme une arme contre toute forme de répression dés 16 ans, age où j'ai publié un journal dans mon pays natal, l'Iran, sous le régime du Shah. Au nom de cet attachement aux témoignages qui ne racontaient que l'injustice sociale et l'atteinte aux libertés fondamentales, la répression, j'ai subi des années de prison, la torture, et plus tard, l'exil sous le régime des Mollah, qui m'a conduit vers la France accueillante. Depuis mon arrivée sur cette terre de libertés, je n'ai cessé de poursuivre ma route comme témoin autour du monde des pays où la liberté reste une valeur fragile. Ces Destins Croisés , publiés dans la presse internationale, et dans une dizaine de livres, ont été accueillis par le Sénat et exposés sur les grilles du Jardin du Luxembourg, tel un appel à regarder l'autre monde.

Au fil de ces témoignages saisis dans une centaine de pays, j'ai pu constater combien l'autre monde regarde la France comme le porte drapeau de la liberté, celui qui a offert à l'humanité la Déclaration des droits de l'Homme conquise au prix de sacrifices. En France, vous avez eu l'immense habileté de répandre un sentiment ineffable de peur qui musèle les biens pensants, là où d'autres, de l'Irak à l'Iran, de la Russie à la Corée du Nord ou la Chine, emprisonne voire, exécute simplement celui qui a fait l'outrage de la pensée différente, de la contestation, de la critique. Merci Monsieur Sarkozy. Permettez-moi de vous témoigner ma profonde gratitude pour votre bienveillance à l'égard de celles et ceux, qui ont osé s'ériger contre votre pensée et vos positions.
 

Pour conclure, cher Nicolas, je suggère à Reporters Sans Frontières d'organiser une conférence internationale à Paris rassemblant ces prédateurs de la liberté du monde entier. Vous pourriez ainsi leur donner une formation intensive aux vues de décrypter l'efficacité de vos méthodes qui parviennent au même but : celui de museler les médias sans emprisonnement, sans torture, sans empoisonnement et sans la mort au bout.

Soyez certain que nous ferons tout pour que l'Histoire retienne cette méthode que nous pouvons déjà nommée : « méthode Sarko ».

Aujourd'hui, le 3 mai, journée internationale de la liberté de la presse, j'aurais pu vous écrire de Kaboul où j'ai fondé une association pour soutenir la liberté d'expression et une presse indépendante comme fondements de la démocratie.

« Je n'ai qu'une passion celle de » la liberté « au nom de l'humanité qui a tant souffert et qui a droit au bonheur ». Cette lettre persane n'est que « le cri de mon âme ».

Veuillez agréer, Monsieur Sarkozy, l'assurance de mon profond respect.
 

            Reza Aina,

Photo-journaliste

(pour davantage d'information voir http://www.afp.com)