psychanalyse In situ


L'Internet et le malaise dans la civilisation analytique*

Catherine Podguszer

 

 

"L'édifice de la société repose sur le renoncement aux instincts;
Ce "renoncement culturel" régit le vaste domaine des rapports sociaux
entre humains; et nous savons déjà qu'en lui réside la cause de l'hostilité
contre laquelle toutes les civilisations ont à lutter
".
Sigmund Freud, Malaise dans la civilisation

 

 

 

Avec ce réseau des réseaux à l'échelle planétaire que représente l'Internet, nous assistons à une révolution des circuits classiques du savoir qui nous dépasse dans son accélération, et nous conduit vers une remise en question des organisations traditionnelles du pouvoir.

Le pouvoir de dire à partir d'une position sociale établie ne tient plus avec cette explosion du Net. Au-delà de cette liberté d'expression vient l'idée -peut-être encore utopique- de la fin des systèmes de pensée unique et dogmatique et d'une époque où la transparence s'évitait au profit d'un pouvoir toujours plus opaque … C'est une question. Mais nous nous devons d'adopter une attitude exploratoire. Même si tout progrès vers la liberté s'alimente d'un certain risque de chaos et de désorganisation, ce cyber-espace nous offre un formidable potentiel de développement de la connaissance et de la créativité.

J'ai commencé à m'intéresser à l'Internet en 1996 au moment où cet outil, utilisé au départ à des fins militaire, prenait forme et sens pour la société civile. S'imposait alors l'idée que nous étions au seuil d'une nouvelle grande aventure humaine marquée par l'ouverture d'un espace de créativité et de liberté à échelle planétaire. En faisant un tour d'horizon de ce qui se présentait sur le Net en psychanalyse, je découvrais un paysage quasi désert et quelque peu conventionnel, en tout cas pour la France, à l'image même de la frilosité ambiante des années post-dissolution de l'École freudienne et de la mort de J. Lacan. Ces années ont favorisé, en même temps qu'un éclatement des institutions de psychanalyse, un certain cloisonnement virant vers une accentuation de l'individualisme.

Dans l'ensemble, les principales "Écoles" de psychanalystes avaient établi leur présence sur la toile, mais selon une modalité qui tendait à " répéter " de façon assez peu inventive, un même mécanisme : à chacun son site, cloisonné, à chacun son fonctionnement pyramidal et hiérarchique, à chacun sa volonté de contrôle de ce qui allait se dire sur sa portion du territoire sur le Net. Position paradoxale vis à vis ce qui conduit chacun vers la démarche d'une psychanalyse, de ce qui reste à l'œuvre au sein même des institutions analytiques et de ce qui se reproduit plus largement dans la société.

Ces constats et les ouvertures que cet outil hors-frontières pouvait offrir m'ont amené à l'idée de créer en 1997 le site Internet " Psychanalyse in situ ". Ce site a été conçu dès le départ comme destiné à être et à rester indépendant de toute institution et il se veut en articulation avec les autres champs du culturel, voire même du politique, de l'art, de l'histoire, des sciences etc.

Plusieurs rubriques composent ce site. En premier une revu.e avec des textes et des témoignages, des publications à lire et à relire. Nous y présentons aussi quelques associations choisies pour leurs orientations non dogmatique. Des colloques, journées, soirées-débats, signatures de livres sont annoncés, et aussi des manifestations comme des expositions, conférences, films etc., en lien direct ou non avec la psychanalyse.

Autour du site de Psychanalyse in situ s'est constitué un groupe de travail et de lecture. Ce groupe a pour intention "de soutenir la vitalité, l'efficacité de la psychanalyse, hors des enjeux institutionnels et des forces refoulantes individuelles et sociales de consensus et de soumission "… Vaste programme en place depuis 1997!

Notre axe de travail vise à se maintenir à la frontière, dans la pluralité des concepts théoriques et cliniques, dans une interaction entre la, ou plutôt les psychanalyses d'aujourd'hui et en extension vers les autres champs du savoir, du thérapeutique et de la culture ... Notre position tend à lutter contre tout enjeu de domination d'un groupe sur un autre et à faire mieux circuler l'information des courants psychanalytiques d'aujourd'hui, entre les psychanalystes mais aussi vers un public plus large.

Nous effectuons des choix éditoriaux, mais ces choix ne répondent pas à une volonté d'établir le règne du désir à l'état sauvage et à une aspiration à perpétrer de façon masquée une censure. Les textes composant la "revu.e" ainsi que les informations en ligne sur le site vont dans le sens de nos axes de réflexion. Il s'agit davantage de créer un style en mouvement -ou à harmoniser avec l'ensemble de ce site- que de s'inscrire dans une logique relevant du type de cette censure opérationnelle au sein des associations de psychanalystes en ce qui concerne leurs revues internes, sans parler du monde de l'édition en général.

L'outil Internet serait-il notre à-venir d'une illusion, celle de la liberté d'expression?
L'Internet est le lieu de tous les possibles. On trouve TOUT sur Internet, un peu comme à la Samaritaine … Une information plus large et peut-être une meilleure image de la psychanalyse ,vis-à-vis du grand public, aussi bien que celle traitée par les médias depuis quelques années.

Le Net peut aussi faciliter le choix pour ceux qui souhaitent se former à la psychanalyse ou même rechercher un(e) psychanalyste suivant certains critères d'orientations et sans obligatoirement passer par les circuits fermés, ou le plus souvent dans la méconnaissance.

Nous y découvrons quelques fois le meilleur mais aussi le pire. Le meilleur avec cette nouvelle donne qui permet une diffusion plus large de la pensée, des informations, des productions analytiques et offre au grand public la possibilité d'accéder facilement à des informations de qualité jusque-là réservées aux élites et distillées au compte-goutte. Il n'est pas impossible non plus d'espérer que les enjeux de pouvoir entre les Institutions, dans les Institutions, entre collègues et ceux qui sont parfois à l'œuvre dans certaines pratiques de l'analyse puissent se fluidifier sous l'effet d'une plus grande transparence.

Cela dit la suppression de la censure est aussi l'occasion de voir apparaître sur le Net des dérives susceptibles de discréditer la psychanalyse comme (par exemple) des propositions de psychanalyse en ligne ou la prolifération de sites peu scrupuleux, éthiquement parlant. Mais ce sont là les risques afférant à ce qui se nomme la liberté d'expression et de tous ses possibles.

Le potentiel de cette technologie conjointe à l'inventivité, virtuelle ou non, nous ouvre vers de nouveaux continents encore inexplorés et ce nouveau contexte soulève des questions comme:

- Est-ce qu'un outil comme l'Internet peut mieux servir de passerelle entre la situation analytique (avec sa "règle fondamentale", consistant à dire ce qui vient à l'esprit, même si cela paraît désagréable ou hors de propos)- et notre inconscient plus collectif? Ou pour le dire autrement, pouvons-nous tenter de tisser sur cette toile quelques liens - hypertextes ou non - allant de l'intime au public?

- Est-ce que l'angle subversif de la psychanalyse, tel que dégagé par Freud, peut se maintenir, sinon se développer davantage aujourd'hui, avec ce que cet outil, objet ou media, peut générer?

- Saurons-nous utiliser le potentiel que nous offre ce média pour arriver à dénouer les enjeux de pouvoir institutionnels et relationnels et ce, vers une plus grande transparence?

- Peut-on définir cet outil -sans trop rêver- comme moyen plus large de questionnement, d'information et pourquoi pas de transmission ?

- Peut-il devenir un lieu autre de mémoire, de recherche, et de liberté?

- Peut-on imaginer que cette toile à l'échelle planétaire nous aide à rester toujours à la frontière et dans une pluralité des concepts théoriques et d'inventivité dans les pratiques ?

- Arriverons-nous à utiliser l'Internet et son langage comme une nouvelle grille de lecture possible sur ce qui constitue le fonctionnement de l'humain et ses inter-relations ou inter-connexions?

 

… Rêve ? Réalité ? Ces productions, ces informations, ces communications, ces images, viendront-elles démultiplier nos champs d'investigations et de création et aider à ce que l'Histoire et la pensée psychanalytique soient véritablement en mouvement ?

Le pari reste ouvert…

 

*Texte revu après communication faite lors de la journée d'études Axes et Cibles Analytiques, le 24 mai 2003 : "Transferts et hiérarchies, réseaux et privilèges, psychanalyse et dominances"

 

Catherine Podguszer
catherine.podguszer@tiscali.fr