Avec ce réseau des réseaux
à l'échelle planétaire que représente
l'Internet, nous assistons à une révolution des
circuits classiques du savoir qui nous dépasse dans son
accélération, et nous conduit vers une remise en
question des organisations traditionnelles du pouvoir.
Le pouvoir de dire à partir
d'une position sociale établie ne tient plus avec cette
explosion du Net. Au-delà de cette liberté d'expression
vient l'idée -peut-être encore utopique- de la fin
des systèmes de pensée unique et dogmatique et
d'une époque où la transparence s'évitait
au profit d'un pouvoir toujours plus opaque
C'est une
question. Mais nous nous devons d'adopter une attitude exploratoire.
Même si tout progrès vers la liberté s'alimente
d'un certain risque de chaos et de désorganisation, ce
cyber-espace nous offre un formidable potentiel de développement
de la connaissance et de la créativité.
J'ai commencé à m'intéresser
à l'Internet en 1996 au moment où cet outil, utilisé
au départ à des fins militaire, prenait forme et
sens pour la société civile. S'imposait alors l'idée
que nous étions au seuil d'une nouvelle grande aventure
humaine marquée par l'ouverture d'un espace de créativité
et de liberté à échelle planétaire.
En faisant un tour d'horizon de ce qui se présentait sur
le Net en psychanalyse, je découvrais un paysage quasi
désert et quelque peu conventionnel, en tout cas pour
la France, à l'image même de la frilosité
ambiante des années post-dissolution de l'École freudienne
et de la mort de J. Lacan. Ces années ont favorisé,
en même temps qu'un éclatement des institutions
de psychanalyse, un certain cloisonnement virant vers une accentuation
de l'individualisme.
Dans l'ensemble, les principales "Écoles"
de psychanalystes avaient établi leur présence
sur la toile, mais selon une modalité qui tendait à
" répéter " de façon assez
peu inventive, un même mécanisme : à chacun
son site, cloisonné, à chacun son fonctionnement
pyramidal et hiérarchique, à chacun sa volonté
de contrôle de ce qui allait se dire sur sa portion du
territoire sur le Net. Position paradoxale vis à vis ce
qui conduit chacun vers la démarche d'une psychanalyse,
de ce qui reste à l'uvre au sein même des
institutions analytiques et de ce qui se reproduit plus largement
dans la société.
Ces constats et les ouvertures que cet
outil hors-frontières pouvait offrir m'ont amené
à l'idée de créer en 1997 le site Internet
" Psychanalyse in situ ". Ce site a été
conçu dès le départ comme destiné
à être et à rester indépendant de
toute institution et il se veut en articulation avec les autres
champs du culturel, voire même du politique, de l'art,
de l'histoire, des sciences etc.
Plusieurs rubriques composent ce site.
En premier une revu.e
avec des textes et des témoignages, des publications à
lire et à relire. Nous y présentons aussi quelques
associations choisies pour leurs orientations non dogmatique.
Des colloques, journées, soirées-débats,
signatures de livres sont annoncés, et aussi des manifestations
comme des expositions, conférences, films etc., en lien
direct ou non avec la psychanalyse.
Autour du site de Psychanalyse in
situ s'est constitué un groupe
de travail et de lecture. Ce groupe a pour intention "de
soutenir la vitalité, l'efficacité de la psychanalyse,
hors des enjeux institutionnels et des forces refoulantes individuelles
et sociales de consensus et de soumission "
Vaste
programme en place depuis 1997!
Notre axe de travail vise à se
maintenir à la frontière, dans la pluralité
des concepts théoriques et cliniques, dans une interaction
entre la, ou plutôt les psychanalyses d'aujourd'hui et
en extension vers les autres champs du savoir, du thérapeutique
et de la culture ... Notre position tend à lutter contre
tout enjeu de domination d'un groupe sur un autre et à
faire mieux circuler l'information des courants psychanalytiques
d'aujourd'hui, entre les psychanalystes mais aussi vers un public
plus large.
Nous effectuons des choix éditoriaux,
mais ces choix ne répondent pas à une volonté
d'établir le règne du désir à l'état
sauvage et à une aspiration à perpétrer
de façon masquée une censure. Les textes composant
la "revu.e" ainsi que les informations en ligne
sur le site vont dans le sens de nos axes de réflexion.
Il s'agit davantage de créer un style en mouvement -ou
à harmoniser avec l'ensemble de ce site- que de s'inscrire
dans une logique relevant du type de cette censure opérationnelle
au sein des associations de psychanalystes en ce qui concerne
leurs revues internes, sans parler du monde de l'édition
en général.
L'outil Internet serait-il notre à-venir
d'une illusion, celle de la liberté d'expression?
L'Internet est le lieu de tous les possibles. On trouve TOUT
sur Internet, un peu comme à la Samaritaine
Une
information plus large et peut-être une meilleure image
de la psychanalyse ,vis-à-vis du grand public, aussi bien
que celle traitée par les médias depuis quelques
années.
Le Net peut aussi faciliter le choix
pour ceux qui souhaitent se former à la psychanalyse ou
même rechercher un(e) psychanalyste suivant certains critères
d'orientations et sans obligatoirement passer par les circuits
fermés, ou le plus souvent dans la méconnaissance.
Nous y découvrons quelques fois
le meilleur mais aussi le pire. Le meilleur avec cette nouvelle
donne qui permet une diffusion plus large de la pensée,
des informations, des productions analytiques et offre au grand
public la possibilité d'accéder facilement à
des informations de qualité jusque-là réservées
aux élites et distillées au compte-goutte. Il n'est
pas impossible non plus d'espérer que les enjeux de pouvoir
entre les Institutions, dans les Institutions, entre collègues
et ceux qui sont parfois à l'uvre dans certaines
pratiques de l'analyse puissent se fluidifier sous l'effet d'une
plus grande transparence.
Cela dit la suppression de la censure
est aussi l'occasion de voir apparaître sur le Net des
dérives susceptibles de discréditer la psychanalyse
comme (par exemple) des propositions de psychanalyse en ligne
ou la prolifération de sites peu scrupuleux, éthiquement
parlant. Mais ce sont là les risques afférant à
ce qui se nomme la liberté d'expression et de tous
ses possibles.
Le potentiel de cette technologie conjointe
à l'inventivité, virtuelle ou non, nous ouvre vers
de nouveaux continents encore inexplorés et ce nouveau
contexte soulève des questions comme:
- Est-ce qu'un outil comme l'Internet
peut mieux servir de passerelle entre la situation analytique
(avec sa "règle fondamentale", consistant à
dire ce qui vient à l'esprit, même si cela paraît
désagréable ou hors de propos)- et notre inconscient
plus collectif? Ou pour le dire autrement, pouvons-nous tenter
de tisser sur cette toile quelques liens - hypertextes ou non
- allant de l'intime au public?
- Est-ce que l'angle subversif de la
psychanalyse, tel que dégagé par Freud, peut se
maintenir, sinon se développer davantage aujourd'hui,
avec ce que cet outil, objet ou media, peut générer?
- Saurons-nous utiliser le potentiel
que nous offre ce média pour arriver à dénouer
les enjeux de pouvoir institutionnels et relationnels et ce,
vers une plus grande transparence?
- Peut-on définir cet outil -sans trop rêver- comme
moyen plus large de questionnement, d'information et pourquoi
pas de transmission ?
- Peut-il devenir un lieu autre de mémoire, de recherche,
et de liberté?
- Peut-on imaginer que cette toile à l'échelle
planétaire nous aide à rester toujours à
la frontière et dans une pluralité des concepts
théoriques et d'inventivité dans les pratiques
?
- Arriverons-nous à utiliser l'Internet
et son langage comme une nouvelle grille de lecture possible
sur ce qui constitue le fonctionnement de l'humain et ses inter-relations
ou inter-connexions?
Rêve ? Réalité
? Ces productions, ces informations, ces communications, ces
images, viendront-elles démultiplier nos champs d'investigations
et de création et aider à ce que l'Histoire et
la pensée psychanalytique soient véritablement
en mouvement ?
Le pari reste ouvert
*Texte
revu après communication faite lors de la journée
d'études Axes et Cibles Analytiques, le 24 mai 2003 :
"Transferts et hiérarchies, réseaux et
privilèges, psychanalyse et dominances"
Catherine Podguszer
catherine.podguszer@tiscali.fr