Sigmund Freud

Sandor Ferenczi

Correspondance
1920 - 1933

Les années douloureuses

Calmann Levy, 1996

 





Freud et Ferenczi se sont écrits presque quotidiennement dès leur première rencontre, en 1908, jusqu'à la mort de Ferenczi en 1933. Les quelques 1250 lettres échangées par ces deux figures majeures sont un monument de la culture européenne. D'une totale liberté de ton, elles nous font partager les intérêts, les émotions, les passions, comme les soucis domestiques, des deux hommes. Document humain souvent poignant, elles révèlent les liens complexes qui unissent les auteurs. On assiste dans ce dernier tome à de nombreux débats d'idées autour des grandes questions qui agitent ces années cruciales de l'histoire de la psychanalyse (débats sur l'hystérie, la castration, l'utilisation de la psychanalyse pour comprendre la biologie des processus sexuels) ; Ferenczi, parallèlement, passe du statut de disciple à celui de véritable interlocuteur intellectuel, et les débats, souvent passionnants, vont même jusqu'à des quasi-fâcheries... C'est également l'époque où la psychanalyse se développe en Europe et en Amérique. C'est le temps enfin de la montée des périls en Europe, et de nombreuses lettres, surtout parmi les dernières, font état des inquiétudes de leurs auteurs, quand ils prennent conscience du fait qu'ils devront, tôt ou tard, s'aventurer sur le chemin de l'exil.

LA Dédicace de L'éditrice de l'ouvrage : Le tome III de la Correspondance Freud Ferenczi, l'une des rares parmi celles de Freud à être publiées dans son intégralité, contient des lettres des années douloureuses. Entre 1920 et 1933, la maladie, la montée du nazisme font irruption dans la vie des protagonistes et un certain nombre de différends, d'ordre théorique et technique, finissent par les éloigner l'un de l'autre. A partir de 1929, il apparaît clairement que les préoccupations de Ferenczi tournent de plus en plus autour des soins qu'il cherche à mettre à la portée des névrosés les plus graves. Dès lors il centre sa réflexion sur la question du trauma et met l'accent sur les conflits interpersonnels. A la même époque, Freud se consacre au développement de la théorie, maintient que la pathologie est issue des conflits internes et continue de prôner la neutralité de l'analyste. En dépit de l'effet durable que la mésentente des deux figures de proue de la psychanalyse a produit sur la pensée de leurs successeurs, à présent, il est possible à un psychanalyste d'être à la fois freudien et ferenczien. (Eva Brabant)

La publication en 1992 du premier volume (1908-1914) de la correspondance entre Sigmund Freud et son brillant disciple hongrois, Sandor Ferenczi, fut un événement mondial en raison de la qualité de la traduction et de l'appareil critique. Quatre ans plus tard, avec la parution du deuxième volume (1914-1919), on découvrait comment s'étaient élaborés, à travers une relation duelle d'une forte intensité, les concepts et la politique d'un mouvement psychanalytique en pleine effervescence. Aujourd'hui paraît le troisième et dernier volume (1920-1933), aussi bien traduit et édité que les précédents. Il couvre une période allant de la fin de la première guerre mondiale à la mort de Ferenczi, avec pour toile de fond l'évolution du cancer de Freud, l'éclatement de l'unité des grands disciples (Karl Abraham, Ernest Jones, Max Etingon...) et la progressive installation du nazisme en Allemagne : des "années douloureuses" ... Cet échange montre bien que tout système de pensée a besoin d'un maître incarnant la loi et d'un rebelle capable de la transgresser au nom d'une avancée sans laquelle la théorie risquerait de périr. Le mouvement psychanalytique n'a pas tranché entre les deux pôles. Il a hérité à la fois des innovations ferencziennes et de l'autorité freudienne. A cet égard, la correspondance entre les deux hommes est une formidable leçon sur la nécessité du conflit qui seul permet à une discipline de critiquer ses dogmes et de se transformer. Comme le souligne Judith Dupont dans sa préface, il est désormais possible, en psychanalyse, d'être à la fois freudien et ferenczien.

Le Monde
Elisabeth Roudinesco