Revue de presse:
C'est la mort de son père qui
lui a ouvert les yeux. Depuis cette douleur stupéfiante,
Frédéric Schiffter, la quarantaine prononcée,
cultive une existence contemplative, faite de joyeux sarcasmes
et de mépris sans haine. Contre ceux qui s'engouffrent
dans la quête éperdue d'un sens («autant poursuivre
le vent»), le petit Frédéric, avisé
dès l'enfance que rien ne demeure, a choisi de sculpter
par le style un délabrement intime, et de tenir, à
l'occasion, le journal d'une agonie entamée à la
naissance... De fait, si Schiffter est philosophe, c'est qu'il
est lucide, douillet et épileptique. A la façon
de Schopenhauer, il n'aime pas les faiseurs de systèmes,
réfugiés dans l'univers aseptisé des concepts,
mais place à son tour, dans des livres inutiles et délicieux,
un écran de mots, d'ouvres d'art et d'idées entre
le monde et lui-même. Plus on souffre, mieux on connaît
; mais plus on pense et moins on souffre. A dire vrai, Schiffter
n'a rien à reprocher à ce monde qu'il juge sans
intérêt. C'est un solitaire, mais il ne prise pas
les vaniteux qui, comme Rousseau, croient s'exclure du cours
des choses. Il n'a rien du mécontent façon Guy
Debord - contre lequel il a commis un pamphlet aussi violent
que brillant... Il s'éclate dans la mélancolie
et l'autodénigrement. Pourquoi protester, fulminer, s'obstiner
à être quelqu'un, alors que «le moi, affirme-t-il,
n'est pas haïssable, ni même adorable, mais tout simplement
introuvable» ? Que reste-t-il à qui accepte de n'être
personne et nourrit la seule ambition de finir en mots d'esprit
dans des conversations de table ? Un style exceptionnel, pur
de toute emphase et dont la concision mime en aphorismes la ténuité
de l'existence : «Vivre, c'est faire bref. Un essai, sur
ce point, doit imiter la vie.»
Raphaël Enthoven
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