LE MONDE - 20.04.06

"Maman !", s'écria Freud, par Dominique Dhombres

 

Sigmund Freud est né le 6 mai 1856. ARTE célébrait, avec un peu d'avance, vendredi 28 avril, ce cent cinquantième anniversaire. Tout d'abord avec un documentaire sur les rapports étonnants entre le cinéma et la psychanalyse. L'un et l'autre sont nés pratiquement en même temps.

Freud et Breuer finissent de rédiger en 1895, à Vienne, leurs Études sur l'hystérie au moment où les frères Lumière organisent à Paris, au Grand Café, leur première projection publique. Freud détestait le cinéma, mais la réciproque n'est pas vraie. Hollywood a adoré la psychanalyse et l'a pillée. Le film emblématique de ces amours compliquées est évidemment Freud, passions secrètes, de John Huston, qu'ARTE passait en seconde partie de soirée.


On n'attendait pas, dans ce registre, l'auteur du Faucon maltais et du Trésor de la Sierra Madre. L'histoire de ce film, sorti en 1962, est étrange. Jean-Paul Sartre avait été sollicité pour le scénario. L'écrivain a fourni un canevas qui a été tellement remanié qu'il a fait retirer son nom du générique. D'autres scénaristes sont intervenus, avec un sort identique, et c'est finalement John Huston lui-même qui s'y est collé.

Cet ancien boxeur, qui fut aussi journaliste, se révèle, de façon surprenante, un partisan enthousiaste de la psychanalyse. Dans un style grandiloquent, il compare les découvertes de Freud à celles de Copernic et de Darwin. On mesure le chemin parcouru par la société américaine, qui a aujourd'hui pratiquement rejeté le freudisme. En 1962, la psychanalyse était reine et son créateur quasiment un dieu. Le film a été un flop, sans doute en raison du parti-pris didactique de Huston.

Il veut tellement démontrer que Freud a raison... C'est une sorte de film policier dans lequel Freud est le détective qui cherche, inlassablement, en explorant chaque piste l'une après l'autre, la cause du malheur de l'humanité. Lorsqu'il s'éveille, dans les bras de sa femme, en s'écriant "Maman !", il a enfin compris. C'est le complexe d'Œdipe qui est à l'origine de tout. Mal résolu, il vous empoisonne pour le restant de vos jours.

On peut sourire. C'est quand même un film extraordinaire. Montgomery Clift, barbu, lui-même fou comme un lapin, est le détective. C'est une débauche de messieurs très stricts, en redingotes noires et chapeaux haut de forme, qui examinent des jeunes femmes très perturbées en chemises de nuit de dentelle blanche. Fernand Ledoux est épatant, dans le rôle de Charcot, avec son accent frenchy.

Ah ! qu'elle était belle, la psychanalyse, dans les années 1960 !

DOMINIQUE DHOMBRES
Article paru dans l'édition du 02.05.06

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