Pour la psychanalyse.
Franck Chaumon
Roger Ferreri
Vincent Perdigon
L'amendement Accoyer, visant à
réglementer l'exercice des psychothérapies a suscité
l'opposition de l'ensemble des psychanalystes français.
Il faut expliquer pourquoi et montrer en quoi la question soulevée
concerne la société dans son ensemble.
Avant toute chose, il faut faire un constat : l'exercice de la
psychanalyse en France n'a jusqu'ici jamais été
réglementé.
Cela mérite d'être souligné car après
tout, la chose n'allait pas de soi si l'on en juge par le fait
que nombreux ont été ceux - médecins ou
représentants des pouvoirs publics - qui ont formulé
le désir de mettre fin à cette exception, au nom
d'arguments qui étaient les mêmes que ceux qui sont
formulés aujourd'hui. Il y avait à cette situation
singulière des raisons puissantes, qui tenaient certes
à la vitalité de la psychanalyse elle-même,
mais tout autant à l'organisation sociale dans son souci
de ménager des espaces privés. Que la pratique
psychanalytique ait été ainsi respectée
a témoigné d'une certaine modalité du lien
social, c'est à dire participait d'une certaine fiction
de la liberté.
1) Un monde nouveau.
C'est pourquoi la question qui est posée
à présent n'est en rien réservée
aux psychanalystes. Il ne s'agit pas simplement de leur cadre
d'exercice, c'est à dire d'une dimension technique voire
éthique de leur pratique, il y va d'un changement dans
le lien social. Si la psychanalyse se tenait jusqu'ici dans les
territoires protégés de l'espace privé,
la voici exposée à présent que les pouvoirs
s'investissent de plus en plus dans la réglementation
des rencontres humaines. Evaluer, garantir, contrôler ce
qui se passe entre les hommes au titre des " relations "
fait partie des nouveaux modes de gestion.
Marche après marche, avec toute la complexité
des interférences entre le bon sens et les calculs les
plus aveugles, s'est progressivement mis en place un ordinaire
de la surveillance d'autrui. Peu de champs sont épargnés
par cet attrait du prévenir, soigner et punir.
Une extraordinaire machinerie, constituée de spécialistes
en petites choses et d'audits en tous genres, dessine une toile
de fond en perpétuelle évaluation de ses propres
rationalisations, machinerie qui n'en finit pas de s'avancer
de plus en plus ouvertement en se parant du monopole d'un pragmatisme
indiscutable. Cette pente est d'autant plus étonnante
dans sa progression que nul n'y croit sérieusement et
pourtant, d'une certaine manière, tout le monde y adhère
Si les psychanalystes ont à répondre
au nom de la psychanalyse, ils ne peuvent le faire qu'en contribuant
à énoncer l'enjeu social qui se dessine aujourd'hui,
ce qui n'est pas chose aisée. Une chose est claire cependant
: ce n'est pas en organisant leur défense sur le mode
corporatiste - c'est à dire en se faisant reconnaître
comme corps - que les psychanalystes seront à hauteur
de la tâche. Le jeu des oppositions corporatives - psychanalystes,
psychothérapeutes, psychiatres, psychologues - et de leurs
différents groupes de pression - associations, organismes
de formation, chaires universitaires - détourne de l'essentiel,
à savoir l'analyse des enjeux contemporains.
- Le nouveau monde de l'évaluation
des rapports humains
Le fait nouveau et massif dont il faut partir est le suivant
: le développement considérable des techniques
psychologiques est devenu un enjeu de pouvoir. La parole est
désormais obligatoire (prescrite) pour toutes les victimes
de ce que Freud nommait malaise dans la civilisation et qui a
désormais pris le nom de traumatisme généralisé.
A cette aune, les frontières du privé et du public
sont devenues caduques, les désordres sexuels dans les
familles doivent être traités tout comme les harcèlements
au travail, les criminels doivent être soignés
par la parole tout comme les victimes doivent dire leur traumatisme
et faire leur deuil. C'est non seulement la souffrance, mais
aussi la santé (mentale) qui devient l'objet d'une sollicitude
sous surveillance. Si l'on prend la mesure du fait que les conflits
dans la famille, l'école, le travail, la prison ont été
progressivement changés en troubles psychologiques, il
ne faut pas s'étonner que leur traitement devienne une
affaire d'Etat. C'est à dire affaire de gestion soumise
à évaluation.
- Evaluation des pratiques
Comme on sait, il ne s'agit plus aujourd'hui
de la reconnaissance d'un statut de psychothérapeute,
mais de celle d'une pratique psychothérapeutique.
Ce glissement n'est en rien fortuit, car il participe d'une mutation
de la gestion du social qui se répand rapidement.
Traditionnellement, c'est le statut professionnel qui ouvre droit
à la possibilité des actes. Un médecin,
un psychologue reçoivent à l'université
une formation qui, une fois validée, leur permet d'exercer
sous la garantie d'un titre, et ce quel que soit l'acte qu'ils
effectueront dans les règles de l'art. En tant que médecin,
en tant que psychologue il leur appartiendra de décider
du choix et du moment de leur technique. A l'inverse, l'isolement
d'une pratique réglementée et évaluée
prédéfinit une séquence d'actes et la soumet
à protocoles et procédures rendant secondaires
les diplômes et qualifications professionnelles de l'acteur.
Ceci se constate désormais particulièrement dans
le champ de la médecine où les actes sont de plus
en plus isolés, comptabilisés, financés
voire judiciarisés.
La conséquence en est une séparation des acteurs
de ce qui est désormais désigné en terme
de produit ou de service, et un dépérissement de
la responsabilité professionnelle qu'elle soit médicale
ou pas. L'implication dans l'acte est le fait de l'auteur qui,
en ajoutant sa part de création, dépasse la simple
répétition technique et fait de cet acte un temps
singulier. Ce dont témoigne la formule d'homme de l'art,
qui donne à entendre ce qui s'oppose à la dérive
d'une évaluation réduite au respect formel des
procédures techniques et à une responsabilité
restreinte à sa dimension juridique. La médecine,
comme question du vivre ensemble disparaît du débat
public, comme on a pu le constater avec la gestion de la crise
dite de la canicule.
Le rapport Cléry-Melin pour la psychiatrie démontre
clairement à quoi aboutit une telle logique lorsqu'elle
envisage l'articulation réglée de la gestion des
réponses techniques. Il permet de constater que cette
modalité évaluative de pratiques découpées
selon leur objet symptomatique prédéterminé
est profondément homogène avec le pragmatisme dans
la théorie : le DSM en psychiatrie est parfaitement adéquat
à cet instrument.
C'est pourquoi certains psychanalystes se trompent lorsqu'ils
croient opportun de demander leur participation à la définition
de telles pratiques, au motif qu'il y aurait des effets psychothérapiques
à certains actes analytiques. Il n'est pas possible d'accepter
une telle logique sans entériner la coupure qu'elle institue
entre l'acte et son produit, rejetant la question de l'acteur,
soit celle de son désir et en ce sens de sa responsabilité,
au titre de simple supplément à gérer par
Comité d'éthique interposé.
- Hiérarchie des actes
L'évaluation d'une pratique suppose
que l'on puisse en déterminer la finalité, elle
est indissociable d'une logique des biens. Il n'est pas surprenant
qu'elle se double d'une échelle de valeurs qui permet
de hiérarchiser les indications, distinguant la véritable
souffrance pathologique des simples bleus à l'âme.
De l'évaluation à la discrimination de la demande
il n'y a qu'un pas, comme on peut le lire dans le rapport cité
où la question est posée de faire un choix entre
pathologies graves et souffrances ordinaires.
Selon cette hiérarchie, le sérieux de la pathologie
serait bien sûr sous garantie, médicale en dernier
ressort comme il se doit. Quand on sait l'évolution actuelle
de la psychiatrie et de son enseignement, il faut répliquer
que le sérieux est plutôt du côté de
la psychanalyse, mais ce n'est pas le même. C'est celui
qui a fait que Freud n'a pas reculé devant la mise en
cause de l'hystérie, celui de Lacan invitant ses élèves
à faire de même devant la psychose. Celui qui pose
en premier lieu non pas le savoir évalué par anticipation
mais la parole singulière, à chaque fois singulière
de qui cherche un Autre à qui s'adresser. Si une société
se juge à la manière qu'elle a de faire place à
la folie, l'exclusion de la psychanalyse pour les plus désorientés
au nom de leur pathologie est de sinistre augure.
2) La psychanalyse saisie au vif
La réaction massive des psychanalystes
contre l'amendement Accoyer a montré qu'ils ont clairement
perçu que c'est l'existence même de la psychanalyse
qui était en péril. La très grande force
de la communauté des analystes tient au fait que, chacun
se réclamant de Freud qui a pris à ce sujet des
positions sans ambiguïté, c'est de la fidélité
à son enseignement qu'il s'agit. Les psychanalystes ont
su le faire entendre, d'où la surprise et le recul des
pouvoirs publics et un écho favorable de l'opinion.
Suppression pure et simple de l'amendement Accoyer, tel
a été le mot d'ordre implicite de ce premier temps.
Malheureusement dans un deuxième temps, le souci tactique,
les divisions intestines voire la fascination de la représentativité
sous garantie ont dissout cette force compacte, et instauré
la confusion. Négocier un peu beaucoup et pour certains
passionnément, avec qui et surtout contre qui telle a
été la valse de ce deuxième temps.
Il faut absolument revenir à des positions de principe.
Si l'on accepte l'idée que la
toile de fond du débat est constituée par la gestion
des rapports humains appréhendés comme relations
psychologiques, on en déduira qu'il s'agit de savoir si
la psychanalyse s'oppose dans son essence à cette modalité
du lien social ou non. Si l'on admet que la médecine et
la psychologie ont été déjà largement
mises à contribution dans cette nouvelle gestion, on se
demandera si la psychanalyse y a été impliquée
ou pas.
La réponse est nette, et c'est pourquoi le choc est si
violent.
1) la psychanalyse s'est définie
en se distinguant de la médecine et de la psychologie.
Quels qu'aient été les liens de Freud avec la médecine
et la psychologie de son temps, c'est pour des raisons décisives
et non pas contingentes qu'il s'est attaché à distinguer
la psychanalyse de ces deux champs. Sa position par rapport à
l'analyse profane en découle.
2) La psychanalyse dans sa formation et son exercice est restée
en France fidèle à ses principes de fondation.
(On peut aisément constater à l'inverse que la
formation des médecins est peu a peu vidée de sa
filiation hippocratique).
Tel est le noyau dur, qu'il ne faut pas
confondre avec le problème que pose l'extension considérable
de la pratique des psychanalystes dans les institutions de soins
et d'enseignement spécialisé, qui n'a jamais été
véritablement pensé comme tel par les associations
de psychanalystes. La psychologisation de la société
à laquelle ont participé de nombreux psychanalystes,
naïvement ou pas, hors l'exercice rigoureux qu'ils maintenaient
en effet dans leur cabinet, est un fait dont ils ne peuvent se
désintéresser. Il leur revient à présent
en boomerang. Mais cela ne doit pas les détourner, par
culpabilité ou par crainte, de tenir ferme sur les conditions
d'exercice de la psychanalyse stricto sensu. Encore une fois
c'est une chance et une force que cela ait été
possible jusqu'à ce jour, et la considération de
ce qu'il en est à l'étranger impose de prendre
la menace au sérieux.
C'est de ce point de vue, et de ce point de vue seulement qu'il
faut aborder la question des non-non. Ce n'est évidemment
pas un hasard si la question des non-médecins, non-psychologues
a été posé à propos des psychothérapies.
Car cette difficulté n'a été isolée
comme telle dans sa rigueur que par Freud, et par personne d'autre.
La psychanalyse est donc strictement concernée comme telle
à cet endroit, et il faut comprendre qu'en discuter à
propos des psychothérapie n'est que le premier pas. Cet
enjeu est hélas dissout comme tel dans le texte de "
l'amendement de l'amendement ".
Là encore, malgré son souci de reconnaissance par
ses pairs et de notoriété dans la société,
on sait que le médecin Freud a pris une position sans
aucune ambiguïté quant à la garantie supposée
qu'apporterait la qualification reconnue par la faculté
de médecine en particulier. Si cette position découlait
de la stricte application des principes de la cure à la
formation des psychanalystes, il reste qu'heureusement il a pris
soin de se prononcer très explicitement, en opposition
non seulement avec certaines autorités de son temps mais
avec des analystes prêts à passer sous les fourches
caudines de la médecine. Son texte n'a pas pris une ride.
La psychanalyse est profane ou elle n'est pas.
Mais il faut aussitôt ajouter que
si la psychanalyse se distingue radicalement de la médecine
et de la psychologie, elle n'en reste que davantage concernée
par la folie.
Le fait de sa différence n'a jamais signifié pour
Freud qu'elle doive déserter le champ du soin. C'est au
contraire parce qu'il pensait que seule la psychanalyse était
une " thérapeutique causale " c'est à
dire qu'elle ne s'en tenait pas au remaniement plus ou moins
confortable des symptômes que son champ restait, aussi,
celui de la folie. Il convient de le rappeler à tous ceux
qui voudraient la limiter au territoire convenu des " bleus
de l'âme ". Céder sur ce point c'est accorder
en négatif la délimitation d'un espace réservé
pour la psychanalyse, au sens de la réserve d'indiens.
La psychanalyse est une pratique qui consiste à suivre
le fil d'une parole sans l'anticiper d'un quelconque savoir.
Elle s'instaure comme échappée devant toute assignation
à ce qu'il y ait une réponse concertée face
à la folie, qu'elle soit hystérique ou délirante.
L'uvre de Freud est indissociable de la création
d'un espace où se transmet cette question inaugurale posée
par l'hystérique à l'adresse des savoirs d'anticipation,
elle interdit de construire une science des rêves en dehors
de la parole singulière de chaque rêveur. Freud
a eu le génie de soutenir que le transfert de cette question
dans son savoir en construction ne pouvait être qu'une
signification en transit.
C'est pourquoi en tant que telle, la psychanalyse s'oppose
à toute perspective d'évaluation.
C'est aussi la raison pour laquelle la
formation des psychanalystes reste une question ouverte. Il faut
le souligner, la question du devenir analyste n'est pas réglée,
en tous cas pour un nombre important de psychanalystes. Il n'y
a pas si longtemps, c'est sur ce qu'il considérait de
ce point de vue comme un échec, que Lacan a dissout l'Ecole
Freudienne de Paris. De nombreuses associations sont encore aujourd'hui
au travail à ce propos.
Le mérite de Lacan a sans doute été de poser
la question autrement : non pas en demandant au psychanalyste
de rendre des comptes sur ce qu'il doit être, mais sur
ce qu'il a été. C'est dans cette inscription d'un
temps logique que se maintient dans la théorie ce que
chaque analyse dépasse. Que l'on accepte ou non la forme
de la passe, il s'agit de maintenir ouverte dans la pratique
cette question pour s'opposer à ce travers reconnu : un
analyste qui se présenterait a priori comme formateur
au point d'en garantir l'efficacité ne pourrait que le
conduire à tomber dans la bêtise de se faire juge
des propos de ses analysants.
La question de la formation des analystes doit rester une
question ouverte.
Or dans l'adversité, la plupart des associations d'analystes
ont affirmé l'existence d'un consensus quant aux procédures
de reconnaissance des psychanalystes entre eux. On sait que les
associations ou écoles ont chacune leur propre modalité
de désignation, répondant à des critères
qui pourtant seraient déclarés communs : analyse
personnelle, contrôles, formation théorique. Si
un tel consensus semble mettre fin spectaculairement à
la suspicion habituelle entre associations de l'IPA et associations
d'orientation lacanienne, on peut s'étonner qu'elle prétende
régler la question. La somme des garanties ferait-elle
garantie de la somme ? On peut remercier le Ministre d'avoir
posé la bonne question : l'annuaire de tous les annuaires
est-il un annuaire commun
ou un annuaire comme Un ?
La douloureuse question de la garantie que l'on ne poserait plus
désormais aux associations puisqu'elles se garantissent
réciproquement, se déplacerait désormais
vers les analystes errants. De même la logique de souveraineté
nationale fait-elle surgir la question des apatrides.
Croit-on qu'il soit indifférent de prétendre aujourd'hui
la question réglée ? Croit-on que la conférence
de consensus dont on propose implicitement l'extension à
la psychanalyse donnera d'autres effets que ceux produits dans
le champ de la psychiatrie, à savoir normalisation des
pratiques et récusation des questions éthiques
réputées superflues?
Quelle que soit la position que l'on ait par rapport à
Lacan, croit-on qu'il eut été indifférent
pour le devenir de la psychanalyse en France si dans les années
50 l'Etat s'était mêlé de privilégier
la reconnaissance internationale donnée aux procédures
de IPA ?
3) Et maintenant ?
Pour toutes ces raisons, la seule position
claire et cohérente doit être le retrait pur et
simple de l'amendement Accoyer, et de tout autre qui ait la même
visée. Il n'y a aucune raison de négocier autre
chose que ce qui était jusqu'ici, dont on ne voit pas
en quoi cela a fait obstacle au développement de la psychanalyse
en France. Par contre, il s'agit en effet d'un point de résistance
dans les modifications contemporaines de la gestion des hommes,
et à ce titre la psychanalyse est embarquée dans
un combat qui concerne la société. Il faut donc
poser l'exigence d'un refus de toute réglementation
de la psychanalyse.
On se méfiera en conséquence
des mobilisations actuelles prétendument tactiques. Les
associations ou regroupements, s'ils ont des intérêts
à défendre au titre des territoires de la formation
professionnelle, sont priés de ne pas les confondre avec
la question de l'exercice de la psychanalyse. De même que
les universitaires, dans le souci compréhensible de maintenir
des positions référées à la psychanalyse
dans les facultés de Lettres et sciences humaines, devraient
avoir le souci de ne pas confondre validation de diplômes
de psychologie à référence psychanalytique
et diplômes de psychanalyse. Toutes choses que chacun professe
volontiers mais qui, d'être oubliées dans la pratique
sans principe des alliances et des stratégies, risquent
faire basculer l'exercice analytique comme tel du côté
de la réglementation.
La question encore une fois excède
le domaine strict de la psychanalyse.
L'idée d'un empire de la gestion des hommes étendue
à leur intimité correctement évaluée
peut faire frémir, mais elle est déjà en
marche. Un certain chemin a déjà été
parcouru en ce sens. Depuis de nombreuses années une modalité
de gestion dite évaluation et démarche qualité
a progressivement investi les rapports humains dans le travail,
puis dans les services.
Le champ de la santé connaît ce mouvement qui fait
des hôpitaux des entreprises dans lesquelles la gestion
des personnels répond de plus en plus aux modalités
d'évaluation selon les protocoles et de moins en moins
au discours médical. En psychiatrie le programme est annoncé
d'une destruction de l'unité du champ de la pratique en
territoires fragmentés de réponses à des
symptomatologies prédécoupées.
Les psychiatres, qui ont vu l'espace de leur pouvoir et de leur
exercice professionnel décliner significativement au profit
de la puissance administrative, ont eu du mal à s'opposer
efficacement à cette modélisation des rapports
humains. Ils savent maintenant que les procédures d'évaluation
qu'ils ont acceptées au nom du sérieux et pour
faire preuve de bonne volonté voire pour être modernes,
laminent désormais leurs responsabilités clinique.
L'outil informatique s'est subtilement glissé entre leurs
actes réduits à des produits quantifiables et leur
responsabilité de praticiens. S'ils lisent attentivement
le rapport Cléry-Melin, ils savent désormais comment
tout cela pourrait finir.
Ils ont donc mieux à faire qu'à revendiquer un
pauvre pouvoir sur les psychothérapeutes ! Ils pourraient
plutôt expliquer aux analystes comment ceux-ci seront accommodés
à la sauce évaluative si ils continuent à
pousser le sérieux et la représentativité
jusqu'à s'installer à la table de négociation.
Les psychanalystes quant à eux pourraient s'interroger
sur l'ignorance dans laquelle ils se sont tenus jusqu'ici de
ce qui se tramait à leur porte et sur leur participation
à un ordre psy désormais patent. S'ils se laissent
emporter par leur esprit de sérieux et de reconnaissance,
ils ne pèseront pas lourd. On peut déjà
constater qu'à la revendication de l'amendement de l'amendement
est venu répondre
la demande de l'annuaire des
annuaires. Vous avez fait ce premier pas, pourquoi ne feriez-vous
pas le second ? D'autant que voyez-vous " ces mesures peuvent
mettre la psychanalyse à l'abri d'appétits privés
ou intéressés par des fins qui ne la concernent
pas " (sic). On est heureux d'apprendre la tendre sollicitude
de Raminagrobis. Un peu d'humour ne nuit pas : quant à
nous, nous nous engageons solennellement à ne pas publier
la liste de ceux qui ne figureront pas sur la liste !
Les psychanalystes peuvent être autrement efficaces, en
restant fidèles à l'acte même de Freud dans
lequel ils ont mis leur pas. Il faut rappeler que si celui-ci
n'avait pas cédé sur le point de l'analyse profane,
cette position de résistance était conforme à
celle qu'il avait prise en écoutant les hystériques
et leur protestation résolue. Aujourd'hui, en France,
il s'agit de ne pas céder.
La réaction claire et rigoureuse
des psychanalystes importe donc bien au-delà de leur seul
champ d'exercice. Car la psychanalyse représente un point
de butée et de résistance à une modalité
nouvelle de gestion du social qui se développe depuis
deux décennies. Si la détermination que peuvent
opposer les psychanalystes peut être l'affaire de tous
c'est bien que chacun peut pressentir, qu'il ait eu ou non l'expérience
de la psychanalyse, qu'il y va d'une certaine conception du lien
social. Disons faute de mieux de la fiction d'une certaine liberté,
dans une certaine démocratie.
Franck Chaumon
Roger Ferreri
Vincent Perdigon
membres de l'association
Pratiques de la folie.
(pratiquesdelafolie@ifrance.com)