Subjectivation subversive

Il existe aujourd’hui une confusion entre savoir et sanction du savoir. Une confusion entre savoir faire et savoir être. L’abolition du sujet par sa captation dans une norme correspond à l’intention politique qui sous-tend la volonté de légiférer sur la psychanalyse. La psychanalyse est une pratique subversive. Parce qu’elle engage le sujet à se révéler en tant que tel, la psychanalyse est un frein au conditionnement de masse.
La psychothérapie peut s’enseigner, ses techniques, ses postulats, ses textes. Mais cela n’a de sens que dans la diversité, et dans la liberté. Il n’y a pas de norme possible à quoi la psyché devrait se conformer. La psyché ne peut vivre que dans le mouvement et la création, l’entreprise de normalisation ne peut que l’étouffer. La psychothérapie en tant que discipline unique, univoque, codifiée, n’existe pas.

Définir le bien de l’autre d’une façon générale est en soi une absurdité. Il n’est de vérité du bien que particulière. Une quelconque pratique psychothérapeutique dont la visée est le bien du patient pose la question du jugement et de la norme, de cet autre qui, lui, saurait ce qu’est le bien pour le patient. C’est tout au contraire la chute de ce fantasme qui permet au patient de passer, de revenir à sa condition de sujet. Il est exorbitant le pouvoir de celui qui décide du bien pour l’autre. Chaque personne doit pouvoir se dissocier de l’identité de patient. C’est ce processus qui permet la subjectivation. Être soi.

La psychothérapie et la psychanalyse sont des pratiques différentes, non seulement en termes de techniques, mais en termes d’objectif. L’amalgame qui a été fait par certains que la psychanalyse serait une psychothérapie est un contresens absolu. La psychothérapie reste du côté de la suggestion, de l’apport de contenu à la psyché de l’autre. La psychanalyse, dans sa théorie et sa pratique, n’amène pas de contenu, mais révèle le dispositif psychique du sujet. Il y a dans ces deux pratiques presque une opposition, disons une opposition éthique. Pourquoi donner des préférences et des jugements absolus ? Toute forme d’embrigadement est soupçonnable. Toute défense rigide d’une chapelle est à interroger.

La volonté d’évaluer les pratiques psychanalytiques et psychothérapeutiques masque un désir de pouvoir sur les âmes, un désir de conditionnement, un désir d’enfermement de l’autre, de privation du désir. Nous sommes des êtres désirants. Se soutenir de son désir est ce qui fonde l’équilibre dans le social. La volonté d’évaluer le champ psychanalytique est un désir d’annexion de l’autre. Il n’est possible d’évaluer la pratique analytique qu’au prix de la tuer. La mise en place d’un quelconque processus d’évaluation de type universitaire, ou clanique, s’agissant des écoles, est une négation de la liberté dont la psychanalyse a besoin pour être et croître.

© Emmanuel Bing 2004